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petits-enfans, et qu’il y exprimait le vœu de voir bientôt achevé le monument qu’un illustre historien élevait à la mémoire de la patrie, nul ne prévoyait que l’historien et l’ami qui lui rendait hommage dussent nous être sitôt enlevés, tant il y avait dans cet hommage de jeunesse encore et de chaleur de cœur, tant il se déployait de force et de vigueur dans l’œuvre que la mort allait si brusquement interrompre ! M. Guizot toutefois aura eu ce rare bonheur que les siens se soient trouvés capables de conduire à sa fin l’œuvre suspendue, et que les mains pieuses d’une fille n’aient pas défailli à la lourde tâche qu’il leur léguait. C’est l’esprit du grand historien qui revit dans ce dernier volume, c’est sa pensée profonde qu’on y retrouve, également maîtresse des idées et des faits, son patriotisme austère, détaché de toute haine comme de toute, flatterie, et si, par intervalles, nous nous permettons de dire qu’on y regrette ce style sobre à la fois et plein, cette grande phrase protestante, tendue comme une sorte d’hymne, dont il emporte avec lui le secret, nous sommes assurés que la piété filiale de Mme de Witt y verra moins une critique qu’un dernier hommage au souvenir d’un grand nom.

C’est une triste époque, triste surtout au lendemain de ce siècle de Louis XIV, grand dans la prospérité, plus grand peut-être dans les revers, que celle dont le dernier volume de M. Guizot nous retrace l’histoire. Stat magni nominis umbra : la France du régent et de Dubois, de Fleury, de Louis XV, n’est plus que le fantôme de la France d’autrefois, son histoire à cessé d’entraîner dans son cours l’histoire européenne, c’est contre elle que l’Angleterre, par-delà l’Océan, fonde son empire colonial, c’est sans elle ou plutôt c’est à la faveur de son apathie que la Russie, que la Prusse, exemples uniques de nations passées en un jour de la faiblesse de l’enfance à toute la force de la maturité, prennent leur place au soleil et s’introduisent dans le système de l’équilibre européen. En même temps qu’un roi sur le trône ; les hommes manquent sous la main ; la seule entreprise de quelque grandeur et de quelque génie d’invention, c’est un aventurier venu d’Ecosse qui là tente ; c’est un aventurier saxon, bâtard d’une race d’aventuriers, qui remporte les seules victoires dont l’éclat jette sur la France un dernier rayon, aussitôt éclipsé. Tout au loin cependant, aux Indes, en Amérique, les La Bourdonnais, les Dupleix, les Montcalm

Et tant d’autres encor de qui les grands courages
Des héros d’autrefois sont les vives images,


soutiennent l’honneur chancelant du nom français. Nous les connaissons mal ; aussi ne saurait-on savoir à M. Guizot trop de gré d’avoir généreusement donné dans son histoire, au récit de leurs grandes pensées et de leurs exploits désespérés, la place que d’ordinaire nos historiens leur mesurent avec tant d’économie. Il serait bon pourtant de savoir qu’un Français, avec une supériorité de vues, une énergie d’action que