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L’estimation de la valeur possible de l’eucalyptus en Algérie, comme essence forestière, est chose difficile, impossible même au sens absolu, et qui ne peut en tout cas se fonder que sur des présomptions approximatives : c’est un problème trop complexe pour être résolu dès à présent avec des données incomplètes. En regard des espérances évidemment trop optimistes de M. Trottier, qui prévoit, pour l’hectare d’eucalyptus planté en massif à raison de 1,000 pieds, un revenu brut de 1,200 francs en cinq ans et de 53,254 francs en vingt-six ans[1], il faut placer les calculs bien

  1. La progression donnée par M. Trottier est la suivante :
    Un hectare exploité produit brut
    à 5 ans 1,200 fr.
    à 10 5,254 fr.
    à 15 11, 798 fr.
    à 20 25,366 fr.
    à 26 53,254 fr.

    Je suppose que chacune de ces périodes porte sur un hectare exploité et coupé en bloc, tandis que les chiffres de M. Cordier représentent l’exploitation continue du même hectare.

    Dans un rapport lu en mars 1868 à la Société d’agriculture d’Alger, M. Trottier établissait ses calculs sur le rendement de l’eucalyptus de la façon suivante : un hectare planté en eucalyptus peut contenir 500 arbres. Si l’on a bien opéré, tous auront un diamètre de 20 centimètres à 2 mètres au-dessus du sol au bout de trois ans. Les bois de cette dimension pourront être vendus à 5 francs le mètre. Or la première éclaircie produirait 2, 500 francs ; à huit ans, le reste de la plantation aura les dimensions propres aux travaux de chemins de fer, et chaque arbre pourra atteindre le prix de 20 francs ; un hectare d’eucalyptus aurait donc donné on huit ans un produit brut de 6,200 francs. Seulement je ne comprends pas trop comment, l’hectare n’ayant que 500 arbres au début, on a pu en élaguer assez à trois ans pour en retirer 2, 500 fr., et en laisser assez pour que le reste cinq ans après produise 3,700 fr. Il faudrait pour cela qu’on eût laissé 185 baliveaux. M. Gimbert, de son côté, fait le raisonnement suivant : la valeur totale des futaies en France est de 4,137,995,228 francs. L’état coupe les futaies lorsqu’elles ont cent, cent cinquante ou deux cents ans d’âge, les communes les exploitent d’un siècle à l’autre ; les particuliers au contraire les livrent au marché après une période de soixante-dix ans en moyenne. Admettons qu’en moyenne toutes les futaies soient coupées à cent ans ; l’eucalyptus, pendant la même période, serait coupé cinq fois, c’est-à-dire tous les vingt ans. La valeur du produit des futaies serait donc quintuplée. Mais il est clair que ce calcul ne s’applique qu’à une infime partie du territoire de la France, l’eucalyptus ne pouvant vivre que dans des localités très restreintes du littoral méditerranéen. Pour ce qui est de la Corse, M. Regulus Carlotti estime que, si l’état en peuplait une grande partie d’eucalyptus, à la fin de la huitième année la plantation donnerait un bénéfice net de 1,295,000 francs. Enfin M. E. Lambert, inspecteur des forêts à Alger en retraite, dans un travail publié en 1873, évalue à 34,121 francs le produit d’un hectare, en portant à dix ans la révolution adoptée. « Si la régénération a lieu par voie de semis artificiels, les frais sont de 666 fr. par hectare ; si l’on procède par plantation, ils s’élèvent à 2,131 francs. C’est, dans le premier cas, un placement à 51 pour 100, dans le second à 16 pour 100. » On remarquera que les rendemens présumés de M. Lambert sont très supérieurs encore à ceux de M. Trottier. Je cite les chiffres, reconnaissant mon incompétence à les discuter.