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Tammouz pour l’arracher au tombeau et le ranimer d’un baiser, Aschera, dont l’haleine ardente descend comme un frisson des gorges du Liban, fait frémir dans les entrailles de la montagne les lourds cabires, gardiens des métaux, ressuscite la ville ensevelie et appelle hors de ces hypogées dont est criblée la plaine les populations qui l’ont adorée. Elle est celle à qui rien ne résiste, et les sépulcres lui rendront leur proie. Voici venir les longues théories des hiérodules sous les mitres et les bandelettes ; voici, conduit par les galles encore tout sanglans de leur immolation, le chœur affolé des femmes pleurant Tammouz et s’offrant au dieu mort. Tandis que la flûte pleureuse, les cris et les râles de l’orgie sainte meurent dans la nuit, guidant le peuple de Byblos aux eaux pourprées du fleuve où a saigné la blessure divine, les bruits d’une grande cité descendent de la colline ; les temples, construits de monolithes gigantesques, s’élèvent sur les pilastres trapus, masqués par des pylônes à l’égyptienne ; les palais projettent sur les rues les saillies des poutres en bois de cèdre ; dans ce port, tout à l’heure désert, où ne se balançait même pas une barque de pêcheur, les galères de Tyr et de Sidon se pressent contre les larges jetées, les flottes de Carthage et d’Égypte enflent leurs voiles ; les bazars s’éclairent et s’emplissent de toutes les races mercantiles du vieil Orient, des caravanes de Mésopotamie et de Chaldée, des esclaves de Nubie et de Mauritanie ; sur les comptoirs des changeurs, les statères phéniciennes ruissellent, prêtes à payer les armes persanes, les baumes de Judée et d’Arabie, la pourpre des îles, l’ivoire du Gange, les moissons du Nil, les gemmes et les bijoux de Saba et d’Assur ; les lampes des verriers brillent dans la nuit, les maçons recherchés des princes étrangers partent pour se louer aux rois d’Israël, les mages et les astronomes de Babylone apportent dans les chaires de Gébal les sciences de l’Euphrate, les enseignemens de Baal ; de la magnifique et colossale cité, il sort un cri de plaisir, de travail et de richesse, le sourd bourdonnement des capitales la nuit ; mais voici qu’un Juif sordide passe, qui la maudit au nom de son Dieu jaloux et dit : « J’exterminerai jusqu’à sa poussière, radam pulverem ejus de ea. » Je regarde autour de moi, et dans le silence et la solitude, sous les débris accumulés par d’autres races, je ne retrouve même pas, en vérité, un peu de la poussière de ces âges merveilleux. Seule, la vague obstinée revient mourir à sa place ancienne ; seule, la lune poursuit sa route immuable, propice et compatissante aux souvenirs du passé. Où sont ces races bruyantes et disparues ? Ces choses qui ne pensent pas et qui restent, la mer, les astres, les montagnes, sont donc plus fortes que nous, qui pensons et passons !

En rentrant me coucher dans ma tente, j’entends longtemps encore, à travers la cloison légère, les bruits de la nuit, le chant des