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avait si longtemps désirée et préparée par tant de combats. En même temps, elle devait non pas réduire un train de vie disproportionné avec cette existence transformée, mais bien se montrer au niveau de son rang, et tout créer, l’administration, les emplois hiérarchiques, les grandes entreprises d’industrie, les établissemens publics et privés, en un mot ce qui avait été entravé ou négligé dans une lutte obstinée et séculaire entre la race allemande oppressive et le patriotisme hongrois vaincu. Quoi d’étonnant que, venues de points de départ opposés, animées de sentimens divers, les deux nations réunies toutefois, — et fort heureusement pour chacune d’elles, — sous un même souverain, n’aient pas marché d’un pas égal dans la voie du progrès matériel, et que la Transleithanie se sait plus d’une fois écartée du droit chemin, commettant des fautes qu’expliquent suffisamment l’inexpérience et les illusions d’une existence nouvelle.

La loi de 1867, qui séparait la Hongrie de l’Autriche, avait d’abord imposé à la première une dépense annuelle de près de 76 millions de francs pour le service de la dette, sans rien préciser de ce qu’elle devait supporter pour la dette flottante ni pour la dette envers la Banque nationale. À cette première charge s’ajoutait l’obligation de payer hors part 2 pour 100 sur les dépenses communes, compensée en partie par le produit des douanes, et 30 pour 100 sur le solde de ces mêmes dépenses. Ces deux articles du budget des dépenses hongroises ont figuré dans les comptes de la première année de son existence pour un total de 150 millions. C’était une assez lourde charge pour un pays qui renfermait seulement, selon le recensement fait l’année suivante, 15 millions 1/2 d’habitans sur une étendue de 324,000 kilomètres carrés, et qui, pourvu de 2,000 kilomètres de chemins de fer, ne possédait ni routes de terre ni canaux, entretenait une navigation à peine praticable sur l’un des plus beaux fleuves de l’Europe, le Danube, enfin n’avait d’autre commerce que celui du blé et du vin, intermittent comme les bonnes récoltes elles-mêmes.

Le patriotisme hongrois crut léger le fardeau que lui imposait la nouvelle constitution politique, il dépassa dans sa confiance première les bornes de la prudence, et on a pu lui reprocher justement, pour monter son organisation intérieure au niveau des grands états, d’avoir établi un nombre de ministres, d’administrateurs, de juges, disproportionné avec les besoins réels ; au moment où les travaux utiles réclamaient seuls toutes les ressources, il menait encore à la fois les travaux d’embellissement et les constructions luxueuses dans la capitale. Ce n’est pas tout : la promptitude avec laquelle on aborda les dépenses utiles n’eut d’égale que l’inexpérience avec