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le public n’étaient habitués à entendre des paroles aussi hardies. Le tapage fut grand, et, si ce discours attira sur Sainte-Beuve le désagrément d’une provocation de la part d’un de ses collègues (provocation assez ridicule et qu’il crut devoir refuser), il lui valut aussi de la part d’admirateurs inconnus qui lui écrivaient du fond de leur province des témoignages d’adhésion et de reconnaissance. Les élèves de l’École normale lui écrivirent également une lettre dont un paragraphe imprudemment publié amena d’abord le renvoi de l’élève qui avait tenu la plume, puis le licenciement de l’École. Si pénible que fût à Sainte-Beuve cette dernière affaire, il n’en devait pas moins sentir qu’il avait le vent en poupe. Il ne lui restait plus pour en profiter qu’à mettre toutes voiles dehors.

La santé déjà délabrée de Sainte-Beuve ne lui permettait cependant pas de prendre part aux discussions du sénat aussi souvent que peut-être il l’aurait désiré. Près d’un an s’écoula avant qu’il prît la parole de nouveau dans la séance du 4 mai 1868 à propos du nouveau projet de loi sur la presse, auquel il reprochait de ne pas être assez libéral. La liberté de la presse ne lui tenait pas si fort à cœur dans les premières années du régime de 1852 ; mais en se chargeant de la défendre à cette date, il savait bien ce qu’il faisait. « La presse n’est pas aussi ingrate qu’on le prétend, » disait-il aux sénateurs. En se faisant ainsi le champion de sa cause, il comptait bien sur sa gratitude, et sur l’appui qu’elle allait lui prêter dans la campagne dont il méditait déjà le plan. Ce discours fut écouté par le sénat avec une malveillance distraite et couvert en quelque sorte par le bruit des conversations. Peu importait à Sainte-Beuve, qui ne se flattait pas de convaincre ses auditeurs. « J’ai mon public, » se borna-t-il à dire aux interrupteurs, et il continua la lecture de son discours. Ce n’était pas non plus au sénat, c’était au public qu’il s’adressait lorsque le 19 mai suivant il prenait de nouveau la parole dans la discussion sur la liberté de l’enseignement supérieur. On sait quelle fut l’origine de cette discussion. Une pétition rédigée par un assez grand nombre de pères de famille dénonçait en termes qui n’étaient pas toujours très mesurés, sur le compte des personnes, les tendances matérialistes de l’enseignement donné dans la faculté de médecine de Paris ; cette pétition concluait à la liberté de l’enseignement supérieur, afin de permettre à des facultés créées dans un autre esprit philosophique et scientifique de faire concurrence aux facultés de l’état. L’émotion avait été vive dans le monde scientifique et dans la jeunesse des écoles. La discussion au sénat, dont l’immense majorité était favorable à la pétition, promettait d’être chaude. Sainte-Beuve s’était fait depuis longtemps inscrire, et il vint lire à la tribune d’une voix sourde et mal assurée, dont la timidité contrastait avec les