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nous avons conservé les plus nombreuses copies ; les autres n’ont jamais pu la déposséder de la place qu’elle avait conquise du premier coup dans l’estime des contemporains. C’est celle aussi qui a le mieux gardé ses qualités de jeunesse et qu’on lit encore le plus agréablement aujourd’hui. Elle mérite donc la préférence que M. Luce lui accorde ; mais à la fin de chaque volume les deux autres versions ont leur tour, et elles y sont intégralement reproduites quand elles présentent avec la première des différences sensibles. Enfin un sommaire très bien fait, où sont réunis tous les détails épars dans les rédactions diverses, nous aide à nous reconnaître au milieu de cette abondance, et nous empêche d’en rien laisser échapper. C’est ainsi que M. Luce trouve le moyen de satisfaire toutes les exigences. Dans le nouveau Froissart qu’il donne au public, les historiens consulteront avec profit le sommaire, qui leur remettra en mémoire tous les incidens des grandes luttes que le chroniqueur a racontées ; les lettrés se laisseront charmer par ce récit entraînant qu’ils liront pour la première fois dans un texte scrupuleusement exact et tel que Froissart l’écrivit à son retour d’Angleterre ; les curieux seront heureux de comparer le premier jet de son génie avec les changemens successifs qu’a subis son ouvrage ; ils chercheront à connaître de quelle manière et sous quelles influences ce charmant et mobile esprit s’est tant de fois modifié, et ce qu’il a gagné ou perdu à ces transformations.


II

Ce plaisir est assurément l’un des plus vifs qu’on puisse se donner en lisant Froissart, et l’édition de M. Luce permet de le goûter à l’aise. Il suffit, dans chaque volume, de parcourir l’appendice après avoir lu le texte ; on y verra clairement de quelle façon l’historien composait son ouvrage, et comment il se laissait mener dans toutes les directions par les événemens et les hommes.

Il a raconté, dans son prologue, qu’il courait le monde, interrogeant les vaillans hommes, écuyers et chevaliers, sur les actions où ils avaient pris part, s’enquérant auprès des rois d’armes et maréchaux de la vérité des faits, « car pour leur honneur ils n’en oseraient mentir[1]. » Comme il a toujours voyagé, il n’a jamais cessé d’apprendre. Ce trésor de souvenirs qu’il avait amassé dans sa jeunesse à la cour d’Angleterre s’est toujours augmenté. Une grande

  1. Je demande la permission, en citant Froissart, de modifier quelques-unes de ses expressions, qui manqueraient de clarté pour nous.