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siècle. Lucrezia Tornabuoni, mère de Laurent, s’était exercée dans ce genre de poésie. Nous possédons quelques-unes de ses Laudes, et elles ne sont pas dépourvues de mérite. Celles de son fils sont agréables à lire, mais d’une élégance un peu monotone ; on n’y sent pas la spontanéité d’une inspiration véritable.

Les titres des poésies de Laurent suffiraient pour montrer la souplesse et la fécondité de son esprit en même temps que les contrastes de sa nature. La poésie lyrique, la poésie élégiaque, la poésie descriptive, la poésie philosophique, la poésie populaire, la poésie satirique et la poésie religieuse ont tour à tour sollicité sa plume. On reconnaît dans ses œuvres le disciple de Platon à côté de l’épicurien, le sceptique à côté du chrétien, l’imitateur des Latins et des Grecs à côté du disciple de la muse italienne. Les aspirations nobles et relevées alternent chez lui avec les tendances d’un matérialisme grossier. Un autre trait distinctif de son talent, c’est le goût des subtilités métaphysiques ; c’est aussi une certaine mélancolie toute moderne, et par-dessus tout le sentiment des beautés de la nature. Sous le rapport de la forme, on lui reproche un peu de rudesse et d’incorrection, des mots latins arbitrairement italianisés, une facilité excessive qui l’empêche quelquefois de donner à sa pensée le relief d’une expression suffisamment ferme. Malgré ces imperfections, Laurent occupe une place éminente parmi les poètes du XVe siècle. Il n’y a que Politien et Pulci qui lui soient supérieurs. Pulci et Politien faisaient partie de sa société intime. C’est aussi en italien que tous deux écrivirent leurs poèmes les plus célèbres. Le Morgante Maggiore de Pulci est une épopée comique qui ne se rattache à aucun modèle et qui reflète fidèlement le XVe siècle, époque d’incrédulité et de foi. Dans le Tournoi de Julien, la poésie lyrique est revêtue par Politien des formes les plus harmonieuses, et la perfection des vers fait presque oublier ce que le sujet a de peu intéressant.

Laurent, nous l’avons constaté, aimait les vieux poètes italiens. Comment eût-il pu ne pas vouer une sorte de culte à l’homme de génie qui les dépassait tous, au chantre des mondes invisibles ? Quoique le souvenir de Dante ne fût qu’en médiocre estime dans ce XVe siècle si fanatiquement dévot à l’antiquité, Laurent sentit vivement les beautés du poème immortel et exprima en termes chaleureux les impressions qu’elles lui avaient laissées. Du reste, on n’avait pas cessé complètement à Florence de vénérer l’illustre banni. En 1430, Francesco Filelfo commentait la Divine Comédie. Leonardo Bruni, Giannozzo Manetti, Giovan Maria Filelfo, écrivaient chacun une biographie du poète. En 1465, la république confiait au pinceau de Michelino le soin de le représenter à l’intérieur de la cathédrale. Puis Antonio Manetti composait un dialogue sur la forme de l’Enfer. À