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devais un sacrifice d’action de grâces, aujourd’hui j’ai acquitté mon vœu. C’est pourquoi je suis sortie au-devant de toi, et je t’ai trouvé. Sur mon lit j’ai étendu des couvertures, des tapis diaprés de fin d’Égypte ; j’ai répandu sur ma couche la myrrhe, l’aloès et le cinnamome. Viens, enivrons-nous d’amour jusqu’au matin, rassasions-nous de caresses, car le mari n’est pas au logis, il voyage au loin ; il a pris avec lui la bourse contenant l’argent ; il revient à la maison au jour de la pleine lune. » (Proverbes de Salomon, VII, 6 sqq.) De cette page magnifique d’un La Bruyère hébreu, il convient de rapprocher une des maximes égyptiennes du scribe Ani, la huitième, si bien traduite par M. Chabas : « Garde-toi de la femme du dehors, inconnue dans sa ville ; ne la fréquente pas : elle est semblable à toutes ses pareilles ; n’aie point de commerce avec elle, c’est une eau profonde, et les détours en sont inconnus. Une femme dont le mari est éloigné te remet des écrits, t’appelle chaque jour ; si elle n’a pas de témoins, elle se tient debout, jetant son filet, et cela peut devenir un crime digne de mort quand le bruit s’en répand, même lorsqu’elle n’a pas accompli son dessein en réalité. L’homme commet toute sorte de crimes pour cela seul. »

Je ne sais si le héros de l’Épisode du Jardin des fleurs a commis des crimes, ce n’est guère probable ; mais ce fut, à n’en point douter, une ou plusieurs de ces aimées qui le tinrent douze longs mois sous le charme. Aussi bien peut-être se montra-t-il avisé en préférant au mirage lointain des campagnes élyséennes d’outre-tombe un aussi beau paradis terrestre que celui-ci : « Elle me conduisit ma main dans sa main. Nous allâmes dans son jardin pour causer. Elle m’y fit goûter d’un miel excellent. Ses joncs étaient verdoyans, ses arbrisseaux couverts de fleurs ; il y avait des groseilles et des cerises plus rouges que le rubis ; ses perséas en maturité ressemblaient à du bronze. » C’est sous ces frais ombrages, peuplés de songes voluptueux, que l’attire une messagère d’amour. « Viens ! lui avait-elle dit en le rencontrant, viens demeurer un jour dans la chambre d’une de mes jeunes filles. » Arrivée devant quelque villa peinte, elle dit à une almée en lui montrant le prince : « Les nobles hommes sont joyeux, ravis à ta vue ; laisse-les venir à ta demeure portant leurs précieux joyaux. Écoute ! ils viennent avec leurs richesses ; ils apportent de la bière pour toutes tes compagnes, toute espèce de pains pour les repas, des gâteaux frais de la veille et du jour, et tous les excellens fruits des parties joyeuses. Viens ! fais un jour de bonheur. » Trois jours durant, le prince et l’aimée reposent sous les fleurs ; la bière coule à flots dans les coupes d’or, et l’Égyptienne, reproduit au naturel, avec une naïve vérité, les scènes d’ivresse qu’on voit aux peintures des