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inconnue jusque-là. Un premier crédit de 1 million sterling affecté à ces dépenses en 1867 ne put être employé, vu l’insuffisance des études préliminaires. Depuis lors ces travaux ont été poussés avec une activité continue, et l’on peut espérer qu’avant vingt-cinq ans l’Inde sera pourvue d’un système complet d’irrigation. En poursuivant sans relâche cette grande entreprise, l’Angleterre se montre vraiment digne de la tâche civilisatrice que la Providence lui a confiée. Les devoirs du maître européen envers ses sujets asiatiques ne se bornent pas en effet à leur donner l’ordre et la paix : il doit les protéger, autant que peuvent le faire l’art et la science modernes, contre cette redoutable éventualité dont le nom seul fait pâlir les plus braves : la famine. Il ne s’agit donc pas dans l’Inde de procurer des irrigations là où elles sont profitables, il en faut partout où elles sont possibles. Ces gigantesques travaux accomplis, l’Angleterre aura réellement rempli sa mission et acquis des droits impérissables à la reconnaissance de l’Inde.

Il y a vingt-cinq ans, l’Inde était sans routes, et le voyageur ne pouvait y poursuivre son chemin que sur ses jambes, en palanquin, sur les épaules de noirs porteurs, sur le dos d’un âne, d’un cheval, d’un dromadaire ou d’un éléphant ; mais les voies de communication ne sont pas aussi indispensables en Asie qu’en Europe : la nature tantôt y favorise singulièrement, tantôt y arrête complètement la circulation. La sécheresse pendant neuf mois de l’année rend tout sentier accessible au piéton ou au cavalier, et lui facilite en outre le passage des rivières et des torrens. À la saison des pluies, toute locomotion est suspendue, et le système de route le plus perfectionné ne permettra jamais qu’exceptionnellement les transports de voyageurs ou de marchandises sous les cataractes du ciel, qui inondent la terre du mois de juin en fin septembre. Les vieux serviteurs de la compagnie, en général peu amis du progrès, prenaient facilement leur parti des dépenses et des lenteurs du voyage, seuls inconvéniens ; du moins pour eux, de cet état de choses primitif, et ne manquaient même pas d’en vanter les avantages. Ainsi l’on faisait valoir que le manque de routes obligeait à tenir prêts les approvisionnemens et les moyens de transport nécessaires aux mouvemens de troupes dans toutes les directions, et qu’il suffisait de quelques légers préparatifs pour passer du pied de paix au pied de guerre. De là la promptitude extraordinaire avec laquelle l’armée anglo-indienne entra en campagne dans certaines guerres ; de là aussi l’habileté et les ressources extraordinaires du commissariat, toujours tenu en haleine, et pour les troupes qui, dans leurs changemens de garnison, menaient la vie des camps pendant des mois, une école de travaux militaires aussi sérieux qu’utiles. L’expérience a fait justice de ces paradoxes, et la construction des routes est au-