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arriva de Zélande avec une petite flottille montée par 800 matelots zélandais. « Couverts de cicatrices et de blessures, restes des combats au milieu desquels ils avaient passé leur vie, leurs toques ornées de croissans portant cette inscription, plutôt Turcs que papistes, ces gueux de mer avaient une réputation d’habileté maritime que justifiaient leurs sombres et hardis visages. On ne les avait jamais vus faire de quartier; ils ne se battaient qu’à mort, et avaient juré de n’épargner ni seigneur, ni vilain, ni roi, ni empereur, ni pape, s’ils tombaient entre leurs mains[1]. » Dans la nuit du 10 septembre, la flotte s’empara de la Land-Scheiding après un combat sanglant ; on la rompit aussitôt sur plusieurs points, et les vaisseaux passèrent avec l’eau qui envahissait la plaine. Une autre digue s’élevait à un quart de lieue en arrière; elle fut de même occupée et percée. Cependant de nouveaux obstacles se présentèrent, et l’on était encore le 18 à plus d’une lieue de Leyde ; on fut sur le point de désespérer de l’entreprise.

C’était une question d’heures : la ville était réduite à des extrémités que, pendant le siège de Paris, nous n’avons pas connues. Plus de pain ni de gâteaux de drêche, plus de viande de cheval ; les femmes et les enfans cherchaient tout le jour quelque nourriture dans les gouttières et les tas d’ordures. On faisait bouillir les feuilles des arbres et l’herbe qui croissait dans les rues. La mortalité était effroyable. Engendrée par la disette, une sorte de peste s’était déclarée; 6,000 ou 8,000 personnes succombèrent à ce seul fléau. Il y eut une sédition. Poursuivi par la foule, le bourgmestre la harangua en ces termes, qui étaient restés dans la mémoire de ses auditeurs et furent aussitôt recueillis : « Que voulez-vous, mes amis? Pourquoi murmurez-vous de ce que nous ne violens pas nos sermens en rendant la ville aux Espagnols? Je vous dis que j’ai juré de garder la place, et Dieu me donne la force de tenir mon serment! Je ne puis mourir qu’une fois, par vos mains, parcelles de l’ennemi ou par celles de Dieu. Mon sort m’importe peu; il n’en est pas de même de la ville qui m’a été confiée... Vos menaces ne me troublent point; ma vie est à votre disposition, voilà mon épée, vous pouvez me la plonger dans le cœur et vous partager ma chair; prenez mon corps pour apaiser votre faim, mais n’espérez pas la reddition de Leyde tant que je serai en vie. » Ces paroles relevèrent les courages; on échangea de nouveaux sermens, on courut aux remparts, où l’on adressa aux Espagnols d’insultans défis. « Nous mangeons des chiens et des chats, leur criait-on; mais quand il

  1. Nous citons ici l’Histoire de la fondation de la république des Provinces-Unies, par J. Lothrop-Motley. Ce bel ouvrage a été traduit en français sous la direction de M. Guizot.