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FLAMARANDE.

Mme de Montesparre. J’étais assez lié avec Mlle Suzanne, sa fille de chambre, et je la savais bavarde ; mais elle n’était pas dans la confidence de sa maîtresse, elle n’était au courant de rien, elle n’avait vu M. de Salcède ni à la campagne ni à Paris depuis son départ pour le Nouveau-Monde, trois ans auparavant. Il avait quitté la France assez mal guéri, et M me la baronne l’avait beaucoup regretté après l’avoir beaucoup retenu ; mais elle paraissait en avoir pris son parti, et se préparait à rentrer dans le monde.

Mes investigations de ce jour-là eussent été parfaitement inutiles sans l’idée qui me vint de demander à Suzanne si, après la mort de son père et sa maladie, M. de Salcède n’était pas très changé.

— Changé ? répondit-elle, ah ! je le crois bien ! ses beaux cheveux noirs sont devenus tout blancs.

— Alors il avait l’air d’un vieillard ?

— Non, il avait toujours sa belle figure jeune, et je crois même qu’avec sa tête à frimas il était encore plus beau et plus original ; mais s’il n’est pas mort, comme c’est malheureusement probable, il a pu se faire teindre comme tant d’autres, et sans doute il n’y paraît plus.

Sûr de mon fait cette fois, je rentrai à l’hôtel Flamarande. Il était onze heures, M. le comte, qui paraissait rarement à son club, y était allé ce soir-là. Madame était seule dans ses appartemens ; après avoir assisté au coucher de Roger, elle avait défendu sa porte ; au dire de Julie, elle lisait.

Je priai Julie de demander pour moi un instant d’audience à madame, et peu d’instans après je fus introduit dans son petit salon. Quel sentiment me poussait à cette entrevue ? C’était un besoin, vague, mais impérieux, de souffrir, car mon intention n’était pas formulée dans ma tête troublée. J’étais à peine sûr du prétexte que j’allais donner pour avoir sollicité mon audience ; j’en avais préparé plusieurs, comptant choisir celui que m’inspirerait l’accueil de la comtesse.

Elle était toute vêtue de blanc avec des nœuds de moire rose pâle sur son peignoir à dentelles. Je la savais frileuse, ce n’était pas la robe de chambre qui convenait à la saison, je m’attendais à la voir vêtue de cachemire ouatté. Cette toilette légère et comme transparente me troubla. Elle avait dû se sentir mouillée et glacée en revenant de son rendez-vous. Son âme ou ses sens exaltés rendaient-ils son corps insensible ?

Elle lisait, c’est-à-dire qu’elle feignait de lire, car, en m’entendant ouvrir la porte, elle avait posé son livre au hasard devant elle. Pourtant, si elle était agitée, elle le cachait bien. Il était impossible de croire à des transports intérieurs en voyant le sourire