Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
271
FLAMARANDE.

cret vis-à-vis de sa mère ; tout ce qu’il craignait au monde, c’était de lui faire de la peine.

Cette candeur de repentir s’effaça vite, et je vis bien, l’été suivant, que de nouvelles folies n’avaient pu être cachées à madame. Elle avait payé sans reproche, mais elle avait dit : — Je ne suis pas riche ; quand je n’aurai plus rien, que feras-tu ?

Je vis madame si gênée que je me décidai à écrire à M. de Flamarande pour lui remontrer qu’un jeune homme de vingt ans, destiné à être l’unique héritier d’une grande fortune, ne pouvait pas vivre comme un petit bourgeois de campagne, et qu’à mon avis M. le vicomte devrait commencer à toucher une pension convenable. Monsieur me répondit qu’il ne ferait pas de pension avant l’âge de vingt et un ans révolus ; mais il trouvait nécessaire que Roger voyageât pendant une année pour voir et connaître le monde. Il ordonna qu’il eût à partir sur-le-champ pour l’Allemagne, et il traça un itinéraire détaillé que l’abbé Ferras devait suivre à la lettre. C’est lui qu’il chargeait de la dépense, et il en fixait le chiffre, qui était assez large, mais nullement élastique. Tout ce qui le dépasserait serait à la charge du gouverneur. M. de Flamarande n’appelait aucunement son fils à Londres ; il lui donnait des lettres de crédit et de recommandation pour Berlin, Vienne, la Russie, Constantinople et l’Italie. Au bout d’un an juste, il fallait être rentré à Ménouville, où M. le comte espérait que madame resterait durant l’absence de son fils.

Mme de Flamarande s’attendait à cette décision. Elle la trouvait fort dure, il lui eût été si doux de voyager avec son fils ! Elle ne comprenait pas non plus qu’un jeune homme dans l’âge des entraînemens dût gagner à être séparé de sa mère. M. le comte en jugeait autrement. Il m’avait souvent dit qu’il n’y a pas de frein possible aux passions de la première jeunesse, que les mères les rendent plus âpres encore en voulant les calmer, et que le seul remède, c’est de les mêler au mouvement de l’existence, afin d’empêcher les mauvais attachemens de s’enraciner.

Qu’il eût tort ou raison, comme personne n’avait jamais eu l’idée de lui résister, le départ de Roger eut lieu sans délai. M. Ferras accepta son mandat avec la tranquille douceur qui lui était habituelle et sans marquer aucune inquiétude. Mme de Flamarande lui épargna les recommandations, sachant qu’il ferait de son mieux avec ponctualité, et elle cacha à Roger le déchirement de ses entrailles. Roger lui cacha le plaisir qu’il éprouvait à changer de place et à voir du pays. Il adorait sa mère et pleura en la quittant. Elle eut le courage de ne pleurer que quand il fut parti.

J’étais resté près d’elle sur le perron, d’où elle suivait des yeux