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la voiture, et je ne songeais pas à me retirer, car, moi aussi, je m’étais contenu et je ne pouvais plus retenir mes sanglots. C’est en ce moment d’affliction suprême où, seul, je partageais énergiquement ses regrets, qu’elle m’ouvrit enfin son cœur.

— Charles ! me dit-elle en se jetant presque dans mes bras, voici ! a première fois depuis vingt ans que je suis sans lui et sans l’autre. Je n’ai jamais quitté Roger que pour aller embrasser ou regarder Gaston à la dérobée. Ah ! si j’avais à présent le cher exilé près de moi ; je me sens mourir d’être seule !

Je crus que c’était une prière de l’aller chercher. — Ici ? m’écriai-je, c’est impossible !

— Je le sais bien, répondit-elle, et je n’ai jamais songé à l’y faire venir. M. de Flamarande veut qu’il soit à Flamarande. Il y est et y restera tant qu’il consentira à y rester, car le voilà en âge d’être libre, et il est possible qu’il veuille changer de résidence et de situation. Jusqu’à présent je me suis flattée que mon mari me le ramènerait quand il aurait vingt et un ans, et c’est pour cela que je tenais à le laisser à Flamarande, dans la position apparente où on l’avait mis. On le voulait paysan, il est paysan ; courageux, fort et patient, il est tout cela. Il a donc été religieusement tenu dans les conditions exigées, et on n’aurait pas de prétexte pour le repousser ; mais il a vingt et un ans, et on ne le rappelle pas, on ne veut pas le rappeler ! N’est-ce pas, Charles, on prétend l’ensevelir et le renier à tout jamais ? Dites-moi la vérité. J’ai nourri de longues illusions, mais je vois que mes amis avaient raison de ne pas les encourager, et à présent je veux connaître mon sort. Dites-le-moi, vous savez que je n’abuse pas des questions.

— Puisque madame la comtesse l’exige, et qu’elle a le droit de savoir la vérité, je la lui dirai. Il est certain que M. de Flamarande est plus que jamais décidé à n’avoir qu’un fils.

— Alors Mme de Montesparre avait raison ; il m’a condamnée sans retour sur un3 apparence. Dites-moi tout, Charles. Cette fois j’insiste sur une question que je vous ai déjà faite il y a longtemps. Suis-je accusée d’avoir lâchement cédé à la brutalité d’une surprise infâme ou d’avoir trahi sciemment l’honneur conjugal ? Répondez sans crainte. Je peux tout supporter à présent !

Il y avait tant d’assurance dans sa voix, tant de fierté dans son regard, que je fus fortement ébranlé. Si je n’avais eu sur moi la preuve de sa faute, je serais tombé à ses pieds pour lui demander pardon de mes doutes.

Je lui répondis ce qui était vrai : — Le comte de Flamarande ne s’est jamais expliqué catégoriquement avec moi sur ce point délicat. Évidemment son esprit s’est porté alternativement vers cha-