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l’autre. On dit qu’il est moins évident. Cela dépend complètement de l’œil avec lequel on le contemple. L’œil, dit excellemment l’Évangile, est le flambeau du corps. Si notre œil est sain, nous marchons en pleine lumière; s’il est attaqué par la maladie, nous n’agissons plus qu’en tâtonnant; s’il est crevé, nous ne voyons plus même ce qui éblouit. Notez bien que cela ne fait rien du tout au soleil lui-même, qui n’en continue pas moins d’irradier dans l’immensité. De même prenons garde que la lumière qui est en nous ne s’obscurcisse. A une certaine hauteur de l’esprit, c’est le monde extérieur qui pâlit, c’est le monde intérieur qui se colore des teintes les plus vives de la réalité. Il est une confession aussi noble que franche dans la première préface jointe par M. Tyndall à sa fameuse Adresse. « Ce n’est pas, dit-il, aux heures de clarté et de vigueur que la doctrine de l’athéisme se recommande à mon esprit; dès que la pensée revient plus forte et plus saine, cette doctrine se dissout et disparaît toujours comme n’offrant aucune solution du mystère dans lequel nous sommes plongés et dont nous formons nous-mêmes une partie.»

De même l’homme de religion virile et sincère reconnaîtra sans peine que c’est aux heures d’étroitesse et de défaillance qu’il en veut à la science indépendante de ce qu’au prix de quelque déchet théologique elle accroît le trésor de vérité que l’humanité possède. Nous n’aurons jamais trop de vérité ni d’un côté ni de l’autre. Ce qu’il faut accorder, c’est que, par la constitution même, ou, si l’on veut, à cause de la faiblesse innée de notre intelligence, il nous est bien plus difficile de trouver la formule rationnelle de la réalité religieuse que d’établir les lois de la réalité sensible ou d’en étudier les ressorts cachés. Est-ce un malheur? Je ne sais. En tout cas, c’est une raison de plus pour supporter les infinies variétés de la pensée humaine quand elle s’applique à cet objet subtil et vénérable entre tous de son insatiable curiosité. Nous pouvons seulement ajouter ceci : c’est que, la réalité de cet objet mystérieux de la foi étant sentie et reconnue, le fait de l’affinité non moins mystérieuse de notre être avec cette puissance auguste qui enveloppe et pénètre toute existence étant constaté, il y a dans ce point d’arrivée des sciences naturelles un point de départ d’une solidité incomparable pour l’esprit humain s’élançant vers l’infini avec l’espoir de surprendre quelques-uns de ses secrets; il y a même la garantie que ses plus nobles espérances, ses aspirations les plus pures, sont une des harmonies de la vérité absolue. C’est déjà suffisant pour bien vivre et pour bien mourir; de quel droit exigerions-nous davantage?


ALBERT REVILLE.