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sur leurs genoux, la plume de roseau à la main et l’écritoire de cuivre passée à la ceinture ; ils forment des cercles inégaux autour des professeurs, suivant le plus ou moins de notoriété de ceux-ci. Les débutans n’ont que de rares auditeurs ; les maîtres renommés, les lumières de l’école, réunissent jusqu’à cinquante et soixante disciples au pied du petit tréteau où ils sont juchés. Chacun de ces ulémas, quelle que soit la science qu’il professe, a un Coran ouvert devant lui ; il lit, en la scandant sur un rhythme monotone, une leçon du texte sacré, qu’il commente ensuite à sa façon. Un d’eux veut bien nous expliquer dans tous ses détails l’organisme de ces universités et la division de l’enseignement qu’on y dispense. Quelle n’est pas notre surprise en y retrouvant les traits originaux, la constitution intérieure, la fidèle reproduction en un mot d’une de nos universités du XIIIe siècle ! Privilèges spéciaux, existence séparée, confusion des études littéraires et ecclésiastiques, découlant toutes ici du Coran comme là de la Bible, rien n’y manque. Les clercs, — c’est encore le vrai nom de ces étudians qui, une fois gradés en droit civil et canon, fournissent indifféremment à la société musulmane le cadi et l’imam, ses magistrats et ses prêtres, — les clercs, habitant généralement un quartier autour de la mosquée, inviolable à l’autorité séculière, couverts par leurs immunités et leurs franchises, ne sont justiciables que du tribunal universitaire. L’enseignement a conservé rigoureusement les grandes divisions de la scolastique : droit canon, droit civil, grammaire, mathématique, musique. Tout le savoir humain vient se ranger sous ces rubriques, et il procède tout entier du livre révélé. L’autorité juridique de notre vieille Sorbonne se retrouve dans les plus fameuses de ces universités, et il n’est pas jusqu’à son esprit frondeur que leurs docteurs ne semblent tenir d’elle ; il m’était facile d’en surprendre la trace dans la parole de celui qui m’initiait à ce côté de la vie musulmane ; il laissait percer la conviction qu’en certains cas l’université avait qualité pour interpréter la loi et casser même les arrêts souverains du commandeur des croyans. — Ainsi, en errant parmi ces étudians pelotonnés sur le parvis de la mosquée et prenant des notes sur leurs genoux, je pouvais me croire au milieu des clercs de la rue du Fouarre commentant Aristote, tant il est vrai que cet immobile Orient, je ne me lasse pas de le répéter, garde toujours pour qui veut l’interroger la reproduction vivante, la révélation sincère de notre histoire passée, à nous qui marchons.

Dans le chœur de la mosquée, une chaire élégante est portée par deux colonnes, les colonnes du paradis, entre lesquelles ne peuvent passer que les seuls prédestinés. Les parois intérieures des deux fûts sont sensiblement usées par les efforts séculaires des pèlerins et