Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvoir affirmer que jamais dans les temps historiques il n’avait existé de communication directe entre la Méditerranée et la dépression des chotts. « L’isthme qui sépare les chotts de la mer, large d’environ 20 kilomètres, est formé, dit cet ingénieur, non pas de sable, mais d’un groupe de collines, grès et roches calcaires, d’une hauteur moyenne de 50 à 60 mètres, de sorte que, pour établir le canal, il faudrait déplacer des millions de mètres cubes en roche dure et faire une dépense de plus de 300 millions de francs. M. le docteur Cosson croit le dattier des oasis destiné à périr, si le projet de M. Roudaire se réalise. Enfin M. Pomel, discutant les résultats physiques de la mer intérieure, ne voit pas comment « une aussi petite surface mouillée pourrait modifier le climat du pays. » Le capitaine Roudaire s’est efforcé, en reprenant les faits et les argumens déjà développés, de répondre à ses contradicteurs ; puis, nommé chef de la mission chargée du nivellement des chotts, ils s’est mis à l’œuvre. Partis de Biskra le 2 décembre, les officiers ont commencé leurs opérations le lendemain au signal de Chegga, vérifié à l’avance par les soins du ministère de la guerre. Depuis cette époque, 400 kilomètres ont été nivelés, il y en aura 700 à la fin de la campagne. Les coordonnées géographiques de tous les points principaux ont été déterminées.

La dernière lettre de M. Roudaire est datée d’El-Oued 28 février 1875. A cette date, la mission n’avait pas trouvé entre les chotts algériens et tunisiens la communication qu’elle était allée chercher au sud de Bei-ben-Nâh après avoir abandonné le nord, trompée par de faux renseignemens. Le nivellement sur Négrin élucidera complètement la question. M. Roudaire ne désespère pas de découvrir la dépression cherchée ; mais, quand bien même devant une expérience acquise il faudrait renoncer au projet de mer intérieure, les travaux de la mission auront eu pour résultat de relier Biskra, le Souf et Négrin, en faisant connaître à fond le nivellement, la topographie, la géologie et la nature des eaux de cette région.

Si la mer d’Algérie devenait une réalité, il serait facile d’établir dans un de ses ports un grand comptoir pour le commerce du centre de l’Afrique. Les caravanes, attirées par les ressources de notre commerce et de notre industrie, afflueraient bientôt sur ce nouveau marché, plus voisin de leur pays que ne le sont aujourd’hui Tripoli et le Maroc. On a déjà dit qu’au moment où la France fit la conquête de l’Algérie des caravanes nombreuses emportaient dans la régence les produits de l’Afrique centrale et du Soudan. Puis ces caravanes régulières se sont détournées de l’Algérie pour aller aboutir l’une à l’Océan, l’autre à la Méditerranée, par le Maroc et Tripoli. Au nombre des causes qui ont motivé ce changement de direction