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Ces quelques détails de statistique sont loin de devoir faire loi pour déterminer la moyenne exacte du profit que peut donner dans le Comtat la transformation en truffières de terres souvent presque sans valeur, ou ne servant que de maigre pacage aux moutons. Sur ces espaces rocailleux où le thym lui-même refuse de croître, le semis des chênes peut en huit ou dix ans créer par la récolte des truffes une véritable richesse dont la durée s’étendra loin dans l’avenir, et qui s’accroîtra d’année en année jusqu’au moment où les arbres rapprocheraient trop leurs cimes et créeraient à la truffe des conditions défavorables de mauvaise aération ou d’ombrage trop dense ; mais dans ce cas même l’éclaircissement des arbres par suppression graduée pourrait prolonger la fertilité de la truffière ; enfin, dût celle-ci tarir, on aurait réalisé au profit du pays entier la transformation la plus désirable dans une région brûlée du soleil, désolée par les sécheresses. Le reboisement par des essences robustes prépare en effet aux générations futures des ressources en bois qui manquent aux populations actuelles, et surtout modifie, avec le tapis végétal, les conditions climatologiques locales, le régime des eaux de la contrée. Ce résultat indirect de la création des truffières artificielles, bien que le moins apparent aux yeux des contemporains, naturellement pressés de récolter ce qu’ils sèment, est peut-être le plus important à l’égard de l’avenir. Or, comme le dit un excellent juge en ces matières, M. l’inspecteur Bedel, « la truffe fera peut-être pour la restauration des bois des montagnes de Vaucluse plus que la crainte des inondations, plus que les règlemens d’administration publique, plus que la loi de 1860 relative aux reboisemens. Accueillie comme un bienfait par le département de Vaucluse, cette loi a reçu dans les terres les plus ingrates de ce pays son application immédiate ; le paysan, d’habitude si rebelle aux règlemens qui le forcent à suspendre la vaine pâture, s’est montré cette fois docile aux conseils d’administration publique : l’état, le département, les communes ont secondé ces bonnes dispositions, que les écrits de MM. Loubet, des Isnards, Blanchard, Bedel, de Ferry de La Bellone, Bonnet, etc., avaient préparées ; mais le vrai magicien dans cette transformation rapide, c’est la truffe flairée en espérance, c’est le diamant noir caché dans le sol et que le paysan avisé saura transformer en écus sonnans sur les marchés d’Apt et de Carpentras.

Dans cet élan heureux vers le reboisement des terres hermes (vacans stériles), la petite commune de Bédouin a pris la tête. Les pentes méridionales du Ventoux, largement étalées, inondées de soleil, nourrissent dans leur zone inférieure, jusqu’à 800 mètres environ, les légions odorantes des thyms, des lavandes et des