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des Provençaux. Toutes ces productions souterraines, et bien d’autres que nous passons sous silence, ne sont comestibles que par occasion et pour les palais peu délicats : la seule fausse truffe qui tienne une large place dans l’art culinaire de l’antiquité et dans l’alimentation actuelle des Arabes et des Syriens, c’est le terfez ou terfezia leonis, dont l’histoire peut ouvrir, dans l’ordre chronologique, l’esquisse rapide de l’usage des truffes dans tous les temps et tous les pays.


III

Une hypothèse plus que problématique ferait considérer comme des truffes les dudaïm de la Genèse, ces fruits que Ruben aurait apportés des champs au temps de la moisson des céréales et qui, donnés à sa mère Lia, excitèrent si vivement la convoitise de Rachel. Émise par Philippe Cadurque et développée par Daniel Ludovicus, cette opinion, en la supposant fondée, reculerait jusqu’à l’an 1620 avant Jésus-Christ l’usage des truffes chez les Hébreux. En tout cas, et toutes réserves faites sur la nature si controversée des dudaïm, on peut supposer aisément que les populations orientales, dans les régions des sables arides, ont dû trouver aisément et connaître de bonne heure la truffe blanche du désert, celle que les Syriens de Damas, au dire de Chabraeus, consommaient par charges de chameaux, et qui constitue pour les Arabes d’Algérie un mets recherché. On pourrait presque nommer cette espèce la truffe des peuples sémites, si la conquête, les migrations ou le commerce n’en avaient étendu l’usage aux Grecs d’abord, puis aux Romains. Des termes même employés par Théophraste pour désigner la station des truffes à Mytilène, il est permis de soupçonner que cette truffe était aussi le terfez ou truffe lisse des sables ; la chose est plus sûre encore pour la truffe de la Cyrénaïque, appelée mysi par ce même Théophraste, dont Pline ne s’est fait que le traducteur. C’est aussi du nord de l’Afrique que les gastronomes romains tiraient ce mets à la mode. « O Libyen, détache les bœufs du joug (c’est-à-dire renonce aux moissons), pourvu que tu nous envoies des truffes, » fait dire le satirique Juvénal à quelqu’un des raffinés de son temps, plus soucieux de bonne chère que du pain du peuple.

L’époque de la récolte, — le printemps et non l’hiver, — la couleur de ces truffes africaines, rousse en dehors, blanche en dedans, ne laissent aucun doute sur l’espèce relativement inférieure à laquelle les cuisiniers de Rome, au lieu de la traiter en condiment des autres mets, appliquaient pour en relever la fadeur les épices, les saumures, tous les irritamenta gulœ de leur art. Les Grecs eux-mêmes avaient dû les précéder dans ces mystères de la cuisine