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savante, car les Athéniens, dit-on, donnèrent le droit de cité aux fils de Chérips pour avoir introduit dans la préparation des truffes un raffinement nouveau. L’un des trois Apicius qui, dans les fastes de la gastronomie romaine, se disputent le prix de la gourmandise, le dernier en date, Cœlius, qui vivait du temps de Trajan, a laissé tout un recueil de recettes qui, longtemps perdu, comme tant d’autres œuvres plus sérieuses, fut retrouvé, chose piquante, sous le pontificat de Nicolas V, dans l’antique et vénérable église de Maguelone ! Il est vrai que cette découverte un peu mondaine en lieu canonique fut accompagnée de la trouvaille d’un autre manuscrit perdu, les scolies de Porphyrion sur Horace ; mais la glose du scoliaste a facilement cédé le pas au de Opsoniis et condimentis sive de Arte coquinaria du maître gourmet. De nombreuses éditions, des commentaires savans ont illustré ce dernier écrit, resté longtemps comme le code de la cuisine romaine, et qui, sous une sèche nomenclature, ne fait pourtant guère soupçonner les côtés fins et spirituels de la convivialité de cette époque de corruption élégante. La truffe a naturellement sa place dans ce répertoire ; mais à la froideur de l’écrivain on devine que cette fille de la terre et des dieux, comme l’appelaient Porphyre et Cicéron, n’était encore que le très fade précurseur du diamant noir de la gastronomie moderne. L’œnogarum, sauce au vin et aux anchois ou saumure de poisson, en relevait la saveur : le poivre, les aromates indigènes, herbes odoriférantes, le laser ou silphium, comme résineuse d’une férule de la Cyrénaïque, la rue, ajoutaient à ce tubercule, cuit sous la cendre ou dans le lait ou dans le bouillon, leurs parfums étranges et excitans. Au fond, la truffe n’était là que l’excipient dans ce pot-pourri d’aromates. Chez les modernes au contraire, la truffe, avant d’être un aliment, est le condiment par excellence dont le parfum pénètre et relève la substance succulente des volailles et des pâtés. C’est que notre truffe est la truffe noire, celle des anciens était presque toujours le terfez.

Les Romains du reste n’avaient fait qu’imiter les Grecs dans l’assaisonnement de la truffe, car l’archestrate ou chef de cuisine, dans Athénée, fait servir à la fin du repas des truffes cuites au jus gras avec addition de sel, de gingembre et de cinnamome. Les Arabes à leur tour, imitateurs de la civilisation qu’ils avaient détruite, associèrent largement les épices à la truffe grise du désert d’Afrique et probablement des parties chaudes et sablonneuses du sud de l’Espagne. Avicenne, un des oracles de la médecine d’alors, recommande de peler les truffes, de les découper en tranches, de les faire bouillir avec de l’eau et du sel, puis de les faire cuire avec de l’almure, des herbes aromatiques (le bouquet de nos cuisinières) et de l’alois, l’almure étant, paraît-il, l’analogue du garum, et