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celles de la table du roi de France Charles VI, contre lesquelles Eustache Deschamps fit, dit-on, une ballade ? On l’ignore ; mais cette boutade d’un poète, pas plus que le pronostic de Mme de Sévigné contre le café, n’a prévalu contre le jugement plus sûr du public. Déjà dans le XVIe siècle, Bruyerin Champier, médecin de François Ier et d’Henri II, signale à côté des truffes de Bourgogne celles de l’Angoumois et de la Saintonge, dont il proclame l’excellence, celles de la Valaurie dans la Drôme, restées depuis justement célèbres. Dans son livre de Re cibaria, sorte de manuel d’hygiène et de sage gourmandise, il répète au sujet de la truffe presque tout ce qu’en ont dit les anciens ; il n’en enregistre qu’en passant les usages culinaires dans les cours de Rome et de France ; bref, il s’en montre discret et timide appréciateur, et ne semble guère justifier le titre de « Parmentier de la truffe, » dont un savant de nos jours a voulu couronner son nom. Encore moins doit-on lui faire honneur d’une idée qui serait très originale pour son époque, l’arrosement des truffières. C’est par une fausse interprétation d’un passage copié dans Pline que l’on a cru pouvoir saluer dans cet auteur du XVIe siècle une pratique spéciale aux truffières artificielles, et dont M. Rousseau, de Carpentras, semble avoir pris l’initiative.

Pour en revenir au goût des truffes, on le voit se maintenir en France pendant le XVIIe siècle, mais sans progrès bien frappans : au moins les preuves de ce progrès n’ont pas été réunies et condensées. C’est dans l’histoire de chaque province qu’il faudrait en chercher les traces. Au contraire avec la période de la régence s’ouvre. une ère de fins soupers, de jouissances épicuriennes où l’esprit a sans doute sa part, mais où la bonne chère conduit le branle du plaisir. Le règne des roués, des turcarets, des agioteurs, et plus tard des bureaux d’esprit et des élégances mondaines, fut aussi le règne des friandises et des délicatesses de table. Aux robustes appétits du grand siècle, apanage des tempéramens sanguins, succéda le régime plus excitant des tempéramens nerveux. Le café, les vins choisis, les plats variés, les assaisonnemens de haut goût furent la note dominante des repas : la truffe eut naturellement son rôle dans cette transformation, et pourtant, limitée encore au monde du luxe, l’exploitation de ce produit ne prit pas de fortes proportions. En 1779, d’après Munier, la Saintonge, le Poitou, ne donnaient encore que peu de truffes : le Dauphiné dans sa partie méridionale, la Provence, le Quercy, le Périgord, le Languedoc, augmentaient sans doute leur consommation intérieure, mais la difficulté des transports comprimait l’élan des ventes lointaines. Le directoire par sa corruption, l’empire par ses premiers succès, la restauration surtout par sa réaction contre nos malheurs et par ses goûts