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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/947

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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 avril 1875.

La mauvaise fortune nous a fait un devoir national de la sagesse, et, si la France pouvait l’oublier un seul instant, elle n’aurait qu’à regarder autour d’elle, à écouter les bruits, du monde. La France, en vérité, aurait bien perdu l’esprit traditionnel qu’elle a la réputation d’avoir, et elle aurait acquis bien peu de ce bon sens aiguisé que donne le malheur, si elle ne se sentait observée et parfaitement surveillée. Ses moindres actions, ses mouvemens les plus imperceptibles, ses pensées, son silence, ce qu’elle fait, ou ce qu’elle ne fait pas, tout est interprété, assez souvent dénaturé, et de temps à autre il souffle en Europe un certain vent qui va soulever une poussière de nouvelles et de polémiques agitatrices dont nous faisons les frais. C’est une expérience qui n’a rien de nouveau, nous la connaissons ; elle recommence périodiquement, surtout aux approches de l’été. Que signifient tous ces bruits qui se sont réveillés depuis quelques jours et out repris une sorte d’importance momentanée ? Il y a sans doute dans tout cela de singulières exagérations, des déchaînemens d’outrecuidance et d’humeur soupçonneuse, des arriérés de haine, une notable dose de cette passion de commérage qui joue un certain rôle dans la politique du temps, peut-être aussi d’autres calculs, des spéculations fondées sur une inquiétude habilement excitée. C’est la sensation du jour dans une situation qui, par elle-même, prête aisément à toutes les conjectures, à toutes les interprétations passionnées, et en définitive, pour nous qui sommes appelés à tirer la moralité de tout, le plus clair est qu’il n’y a ni à s’alarmer de ces agitations artificielles, ni à s’endormir. La France n’a pas pour le moment de politique plus sûre que de garder son sang-froid, de laisser passer tous les bruits sans les dédaigner et sans les prendre trop au sérieux, en restant tout simplement fidèle à cette sagesse qui est pour elle une nécessité, qu’elle est obligée de pratiquer d’abord dans ses affaires intérieures pour mieux la pratiquer ensuite dans ses relations avec le monde.