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LE GÉNÉRAL
PHILIPPE DE SÉGUR
SA VIE ET SON TEMPS

III.
NAPOLÉON JUGÉ PAR SÉGUR[1]

Nos lecteurs n’ont pas oublié l’impression profonde que ressentit le général de Ségur lorsqu’au mois de novembre 1813, n’ayant pu prendre part à la campagne de Saxe, il rejoignit à Mayence le glorieux vaincu de Leipzig. L’empereur n’était plus le personnage extraordinaire devant lequel les plus hardis n’osaient parler et les plus grands semblaient petits. On n’avait plus besoin de lever les yeux si haut pour le voir. Le malheur, dit Ségur, l’avait courbé. Chacun se sentait plus rapproché du chef ; on le mesurait, on le jugeait.

Au début de cette retraite de 100 lieues, qui commença le 25 octobre 1813, un de nos plus intrépides maréchaux, resté presque seul de son corps d’armée, aborde un jour les généraux Gérard et Maison, et dans son exaspération leur demande s’il n’est pas temps d’en finir : l’empereur a perdu l’armée, le laissera-t-on perdre la France ? Cinq mois plus tard, à Fontainebleau, dans la soirée du 3 avril 1814, c’est à l’empereur lui-même qu’on osa tenir ce langage. Plusieurs maréchaux réunis dans une salle du palais se disaient que l’obstination de l’empereur mettait la France en péril, et l’un d’eux avait été jusqu’à s’écrier : « Je saurai bien lui arracher sa déchéance. » Alors le maréchal Ney, qui se trouvait là,

  1. Voyez la Revue du 15 février et du 15 mars.