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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/217

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entreprise contre Rome, il s’est fait l’homme de l’Allemagne. Depuis qu’il est le champion « des droits de l’esprit, de la liberté de l’intelligence, » contre les envahissemens de la hiérarchie romaine, il a rallié à sa personne et à ses projets les trois quarts des Allemands du midi, les universités, et tous ces instituteurs primaires, tous ces maîtres d’école qu’il conviait dernièrement à soutenir avec lui le grand combat contre les ennemis de la civilisation, den Kulturkampf. Il connaît mieux que personne le tempérament de sa nation et ses cordes sensibles. La prose des plus habiles journalistes produit moins d’effet sur les âmes allemandes que les emportemens involontaires ou calculés de son éloquence nerveuse et saccadée, que certaines paroles prononcées par lui dans le Reichstag ou dans la chambre des députés de Prusse, et qui, traversant l’Allemagne comme un éclair, vont remuer profondément des cœurs souabes ou francfurtois qui s’étaient promis de lui demeurer à jamais fermés. Dix articles rédigés par les plumes les mieux taillées du bureau de la presse font moins pour sa popularité que l’altière ironie avec laquelle il s’écriait dernièrement : « Messieurs, nous sommes en présence d’un Italien élu par les prélats italiens, poursuivant des intérêts étrangers aux nôtres et qui n’ont rien de commun avec l’empire allemand ; de même que, selon la parole du poète, la goutte d’eau d’une urne ne pèse rien et disparaît dans l’océan des mondes, de même ce qui se passe sur cette pauvre motte sablonneuse de terre qui s’appelle la Prusse ne pèse rien en regard des intérêts sacrés de la cour de Rome. » Après avoir représenté la politique de la résistance, cet homme extraordinaire, qui avait en lui de l’étoffe pour plus d’un rôle, est devenu le tribun de l’Allemagne, et il allume dans les esprits des passions avec lesquelles nous ferons bien de compter. Assurément il nous est permis de blâmer les solutions radicales qu’il propose et d’en patronner d’autres ; mais qu’on ne puisse pas nous soupçonner de conspirer secrètement avec ses ennemis, de vouloir défendre contre lui l’Encyclique et le Syllabus, — l’enthousiasme qu’il excite deviendrait du fanatisme. Paul-Louis Courier écrivait en 1823 : « Serons-nous capucins ? ne le serons-nous pas ? Voilà aujourd’hui la question. » Non, cette question n’en est pas une, nous ne serons pas capucins. Il y va de notre honneur autant que de notre sûreté.

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