Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’épargner ainsi aux futurs historiens de la philosophie une insipide et peu raisonnable redite.


I

Tout le monde connaît le petit poème gnomique intitulé les Vers d’or, qui devait être le manuel, le bréviaire du pythagoricien, et qui renferme la plus pure substance de la morale, la fleur choisie des préceptes de l’école, non sans parfum poétique. Ce poème, attribué par les uns à Pythagore lui-même, par d’autres à Lysis, son disciple, par d’autres encore ou à Philolaüs ou à Empédocle, ne remonte pas sans doute à une si haute antiquité, mais il est certainement antérieur au christianisme, puisque des écrivains qui ont vécu avant notre ère, entre autres le stoïcien Chrysippe, y ont fait quelquefois allusion. Que nous ignorions le nom de l’auteur, que les anciens eux-mêmes l’aient ignoré, il ne faut pas s’en étonner. Souvent des doctrines, des doctrines religieuses surtout, ont produit des livres de pieuse morale écrits par une main inconnue, livres d’autant plus respectés qu’ils sont anonymes, dont le charme et le crédit tiennent au mystère qui les couvre, qui paraissent écrits pour tout le monde précisément parce qu’ils ne portent le nom de personne, et dont les adeptes enfin font leurs plus chères délices, la vérité morale n’étant jamais plus touchante que si elle se présente comme d’elle-même, sans intermédiaire, dans sa simplicité en quelque sorte divine.

Le poème des Vers d’or, après avoir tracé en une suite de maximes détachées nos principaux devoirs envers les dieux, envers les hommes, envers nous-mêmes, termine cette série de préceptes par une recommandation entre toutes précise et détaillée, par laquelle il est enjoint de ne pas terminer sa journée sans repasser sur toutes ses actions, sans les juger :

« Ne laisse jamais tes paupières céder au sommeil avant d’avoir soumis à ta raison toutes tes actions de la journée.

« En quoi ai-je manqué ? Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je omis de faire de ce qui est ordonné ?

« Ayant jugé la première de tes actions, prends-les toutes ainsi l’une après l’autre.

« Si tu as commis des fautes, sois-en mortifié ; si tu as bien fait, réjouis-toi. »

Voilà bien l’examen de conscience dans toute sa clarté. Rien n’y manque, ni la surveillance attentive sur soi-même, ni le scrupule moral qui va jusqu’à s’imputer à faute le bien qu’on n’a pas fait, ni le repentir du mal, ni la joie permise du bien. Il n’est personne