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aujourd’hui qui, lisant ce passage, n’en comprenne aussitôt le sens. Peut-on même imaginer que ces vers renferment autre chose qu’un précepte sur ce que nous appelons l’examen de conscience ? Eh bien ! un certain nombre d’anciens sont tombés dans la plus étrange méprise. Ils ont cru qu’il s’agissait ici d’un exercice de mémoire. Ils ont pensé, avec une naïveté qui nous étonne, que Pythagore recommandait à ses disciples de se rappeler tout ce qu’ils avaient fait, vu, dit, entendu, même les choses les plus indifférentes, et qu’il avait eu pour but de leur fortifier l’esprit et d’affermir ainsi leur mémoire, précisément parce qu’il est difficile de ressaisir et de retenir la futile succession des petits événemens journaliers. Ils n’ont pas soupçonné qu’il était parlé ici d’un exercice moral, et s’ils ne l’ont point vu, c’est que la rare délicatesse du précepte ne pouvait être saisie dans sa nouveauté par des hommes actifs qui n’avaient guère le temps de se replier sur eux-mêmes, et qui comprenaient mieux les grands principes de la morale applicable au gouvernement des sociétés que cette morale privée et intérieure.

Aussi le plus grand des philosophes romains, l’auteur du plus beau traité de morale pratique que nous ait laissé l’antiquité, qui connaissait bien tous les systèmes de la Grèce, à qui ne manquait pas la finesse dans l’interprétation des textes, Cicéron, rencontrant la prescription de Pythagore, l’interprète comme pourrait le faire le moins subtil écolier. Dans son traité de la Vieillesse, où il vante l’infatigable activité de Caton l’Ancien, il fait dire au vieux censeur par une allusion visible au précepte des Vers d’or : « A la manière des pythagoriciens, je rappelle le soir tout ce que j’ai fait, dit ou entendu dans la journée, pour exercer ma mémoire ; Pythagoreorum more, memoriœ exercendœ gratia[1]. » Or sur quoi pouvait porter ici l’examen de Caton ? Sur ses récoltes, sur son bétail, sur les esclaves, sur les gronderies qu’il avait faites, sur les profits et les pertes. C’est un exercice de propriétaire attentif qui tient à tout enregistrer dans son esprit, et dont la rigide économie est d’avis que tout est bon à garder, même les souvenirs. Voilà ce que le peu rêveur Caton appelle un examen à la pythagoricienne, et Cicéron ne l’entend pas autrement.

Cicéron du moins ne se pique pas d’en savoir bien long sur ce point de la doctrine pythagoricienne ; il n’en parle qu’en passant, avec légèreté sans doute, mais sa phrase échappe au ridicule par sa brièveté. Il n’en est pas ainsi de Diodore de Sicile, qui se croit plus instruit, et qui va nous dire avec une docte puérilité comment il faut entendre le précepte. Pour bien comprendre le passage de Diodore, il faut savoir que dans l’antiquité certaines copies des Vers

  1. De Senectute, chap. 11.