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d’or, comme en témoigne la leçon de quelques manuscrits, portaient qu’il fallait faire l’examen de conscience chaque jour trois fois. On sait que dans l’école de Pythagore les nombres jouaient un grand rôle, et qu’on leur accordait certaines vertus. Du reste le précepte semble avoir été modifié et compliqué avec le temps. Le texte des Vers d’or le plus accrédité ne prescrit qu’un examen, celui du soir ; mais Porphyre cite deux vers appartenant à une autre rédaction où il est recommandé de faire aussi cet examen le matin. Diodore et Jamblique vont plus loin, et veulent que cette récapitulation des actes remonte jusqu’au quatrième jour. Il y a là bien des incertitudes dans l’interprétation d’un précepte si simple. Peut-être ne faut-il voir dans toute cette confusion qu’une suite d’erreurs greffées les unes sur les autres ; peut-être aussi l’école elle-même avait-elle peu à peu surchargé la prescription. C’est l’ordinaire tendance des doctrines morales et religieuses dans la pratique. On est naturellement amené à se dire que, s’il est bon de faire une chose, il sera mieux encore de la faire souvent. Ces détails nécessaires étant fournis, on pourra maintenant mieux comprendre et savourer l’inintelligente explication de l’examen de conscience que donne Diodore de Sicile avec une si plaisante assurance.

« Les pythagoriciens exerçaient leur mémoire avec le plus grand soin, et voici comment ils s’y prenaient. Ils ne sortaient jamais du lit sans avoir repassé dans leur esprit tout ce qu’ils avaient fait la veille, du matin au soir. S’il leur arrivait d’avoir plus de loisir que d’habitude, ils poussaient cet examen commémoratif jusqu’au troisième et quatrième jour précédent, et même au-delà. Ils considéraient cet exercice comme très propre à fortifier la mémoire et à pourvoir l’esprit de beaucoup de connaissances[1]. »

Ohl les belles connaissances que devait procurer un pareil examen ! Se demander par quel lieu on a passé, qui on a rencontré, ce qu’on a dit à tel ou tel, ce qu’il a répondu, à quelle heure on a mangé, graver dans son esprit cette biographie journalière, la faire remonter jusqu’au quatrième jour, voilà une bien utile occupation, et c’eût été bien la peine de recommander cela en vers et en vers d’or ! Le plus plaisant, c’est que ce précepte s’adresse non pas au premier venu, mais aux adeptes ; c’est de l’enseignement ésotérique qui n’est fait que pour les initiés. Les pythagoriciens, s’ils avaient voulu exercer leur mémoire, n’avaient pas besoin de recourir à ces laborieuses vétilles. Cette école savante, livrée à l’étude de la nature, de Dieu, de l’homme, particulièrement occupée de mathématiques, cherchant des mystères de toute sorte dans les nombres, avait sous la main bien assez de sujets d’études et

  1. Diodore, Fragmens, l. X, traduction de M. Hœfer.