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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/423

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pourtant. Raymond sans doute m’avait attendu à l’ermitage, et voilà pourquoi on ne l’avait point revu.

« Comme il doit être inquiet de ne m’avoir pas trouvé au rendez-vous ! pensais-je tout bas. Il me croit tué à coup sûr ; mais au fait suis-je si loin de ma dernière heure ? Les carlistes fusillent tous leurs prisonniers ; c’est demain que je dois mourir. Il est vrai que Raymond reviendra auparavant… Et si je meurs aujourd’hui… Mon Dieu, mon Dieu, ma tête se perd.

« C’est au milieu de ces réflexions que le jour m’apparut. Un aumônier entra dans ma prison ; tous mes compagnons dormaient.

« — Il faut mourir ! m’écriai-je en voyant le prêtre.

« — Oui, répondit-il avec douceur.

« — Quoi ! déjà ?

« — Non, dans trois heures.

« Une minute après, mes compagnons étaient réveillés ; mille cris, mille sanglots, mille blasphèmes, firent retentir les échos de la prison.

« Un homme qui va mourir s’attache d’ordinaire à une idée fixe et ne la quitte plus. Cauchemar, fièvre ou folie, c’est ce qui m’arriva. L’idée de Raymond s’empara de mon esprit : je le voyais vivant, je le voyais mort, tantôt luttant dans la mêlée, tantôt m’attendant à l’ermitage. J’étais sourd, muet, insensible, idiot enfin.

« On m’enleva mon uniforme d’officier, et on me mit un bonnet et une capote de soldat ; puis je marchai à la mort avec mes vingt compagnons. De ce nombre, un seul devait échapper au supplice comme musicien ; les carlistes faisaient grâce de la vie aux musiciens parce que ces pauvres diables n’étaient guère à craindre dans les combats, et aussi parce qu’ils voulaient eux-mêmes former des corps de musique pour leurs bataillons.

« — Et vous étiez musicien, maître Basile, c’est ce qui vous a sauvé, s’écrièrent les jeunes gens tout d’une voix.

« — Non, mes enfans, reprit le vétéran, je n’étais pas musicien.

« Les carlistes s’alignèrent en bataille, un peloton se détacha, le peloton d’exécution, et l’on nous plaça par devant. J’avais le numéro dix, je devais donc mourir le dixième ; alors je pensai à ma femme et à ma fille, à ta mère et à toi, mon enfant.

« L’exécution commença. Comme j’avais les yeux bandés, je ne voyais pas mes compagnons ; je voulus compter les décharges pour savoir quand viendrait mon tour, mais avant la troisième détonation je perdis le compte.

« Ah ! ces coups de fusil, je les entendrai toujours ! Ils me semblaient résonner au loin, bien loin, à mille lieues, et tout à coup éclater dans ma tête.