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« Les détonations se succédaient cependant.

« — A moi maintenant, me disais-je. Les balles sifflaient, et j’étais vivant.

« Pour le coup, voilà mon tour, c’est fini… Je sentis qu’on me prenait par les épaules, qu’on me secouait, qu’on me parlait à l’oreille. Je tombai, je ne pensai plus, puis je rêvai que j’étais mort fusillé…

« Le rêve durait-il encore ? J’étais couché dans une chambre, celle même qui nous avait servi de prison. Je ne voyais rien.

« Je portai la main à mes yeux pour en retirer le bandeau, et je reconnus que j’avais les yeux libres, grands ouverts, mais la prison était pleine de ténèbres. J’entendis alors sonner une cloche et je me pris à trembler : c’était la prière du soir.

« Il est neuf heures, pensai-je, mais à quel jour sommes-nous ? Une ombre plus épaisse que celle qui m’entourait se pencha sur moi, cette ombre avait une forme humaine.

« Mes lèvres murmurèrent inconsciemment un nom, le nom que je répétais sans cesse dans mon cauchemar : Raymond.

« — Que veux-tu, me dit une voix qui s’élevait de mon côté.

« — Mon Dieu ! m’écriai-je, est-ce toi, Raymond ? Tu vis encore ?

« — Oui.

« — Et moi ?

« — Toi aussi.

« — Où suis-je alors ? A l’ermitage ? J’ai donc rêvé ? Je n’étais pas prisonnier.

« — Non, Basile, tu n’as pas rêvé, je vais tout te dire. Hier, dans la mêlée je frappai le colonel, j’étais vengé ; puis la fureur m’aveugla et je tuai, je tuai jusqu’à la nuit, jusqu’à ce qu’il ne restât plus un seul christino dans la plaine ; quand la lune se leva, j’étais très fatigué et je me souvins de toi ; alors je dirigeai mes pas vers l’ermitage de Saint-Nicolas dans l’intention de t’attendre. Il était dix heures du soir, le rendez-vous était pour une heure ; la nuit d’avant je n’avais pas fermé les yeux, je m’endormis.

« A une heure, je me réveillai en poussant un cri ; je regardai autour de moi et me trouvai seul. Deux heures, trois heures, quatre heures sonnèrent ; tu ne paraissais pas. Sans doute tu étais mort ; cette pensée me désespérait.

« Le jour parut enfin. Je quittai l’ermitage et me dirigeai vers ce village où se trouvaient réunis mes nouveaux frères d’armes. Tous croyaient que j’étais resté sur le champ de bataille ; on m’accueillit à bras ouverts, on me combla d’éloges et de distinctions, puis tout à coup en causant j’appris que vingt et un prisonniers allaient le matin même être fusillés.

« Un pressentiment traversa mon âme. Basile serait-il parmi eux ?