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c’est lui qui élèvera Noëma. Au troisième acte, nous les voyons tous deux flotter dans les airs, où les ailes de l’esprit soutiennent la foi de la femme. Il l’a appelée, et il a cru. Éblouie, elle se livre au pouvoir du divin amour qui l’emporte vers les étoiles ; mais, même en ce moment, le poids de ses sollicitudes l’entraîne de nouveau vers la terre, où elle souffre, où elle est opprimée. En vain Afraël la conjure-t-il d’habiter avec lui dans l’espace sa tente d’azur, elle est mère ; le devoir est en bas, elle tient à sa servitude, et descend la reprendre. Afraël, de son côté, semble gagné par la contagion de la chair. Il sent qu’il ne peut retourner au ciel, si Noëma n’y reste avec lui, car, loin d’elle, il n’est plus qu’un étranger, un exilé partout ; cependant il la quitte, car elle l’exige. L’aube les sépare.

Tandis que Noëma se blesse à l’incrédulité de son époux, qui prend pour les divagations de la folie le récit du voyage nocturne qu’elle vient de faire, Afraël prête l’oreille aux voix mystérieuses de l’espace, qui lui apprennent que l’amour peut, comme il le voudrait, réduire ses ailes en cendre et faire de lui un habitant de la terre. Il s’élance vers le remède qui le délivrera de privilèges devenus pour lui autant de supplices : sa forme insaisissable, son immortalité. Les voix fraternelles le rappellent pleurent ; il ne les écoute pas, il ne croit point déchoir et sent qu’il va gagner au lieu de perdre à l’échange ; mais, pour que cette transformation s’accomplisse, il faut d’abord que l’enchanteresse elle-même y consente, et Noëma, esclave, prétend respecter ses chaînes. Elle appartient à un maître qu’elle ne peut aimer, du moins le servira-t-elle fidèlement jusqu’au bout. Ses bras se refusent à enlacer la forme suppliante de l’esprit qui lui demande de faire tomber ses attributs glorieux ; que ces ailes, qu’elle ne peut se résoudre à briser, l’enveloppent plutôt une dernière fois et la ravissent au-dessus d’elle-même, et puis adieu jusqu’à ce que la mort l’affranchisse !

Ce quatrième acte est composé avec beaucoup d’art ; à côté de scènes d’amour auxquelles on ne saurait reprocher qu’un excès de raffinement dans l’expression des plus subtiles délicatesses du cœur, il y a des situations vraiment épiques : la scène du sacrifice par exemple, où le prêtre et l’utopiste, obéissant à des sentimens divers, se réunissent pour soulever les esclaves contre leurs tyrans, l’un au nom de Dieu, l’autre au nom de leurs droits, — la révolte des travailleurs exaltés par l’éloquence de Korah et sourds aux conseils plus sensés, mais moins persuasifs de Sidon, le philosophe. Point de compromis ! La bataille se termine à l’avantage d’Aran : son succès cependant n’est pas définitif ; soit accident de la nature, soit intervention divine, une tempête effroyable va éclater ; elle n’effraiera guère le superbe, qui juge que l’ennemi outragé répond à son défi. Il est prêt. — Où est sa pique ? — Noëma n’est pas là pour la lui apporter. L’héroïque effort qui l’a séparée de