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vendredi 16 septembre 1701, il s’éteignit doucement, recommandant au roi de France sa femme et son fils, adressant un message de prière et d’adieu à la princesse Anne, sa fille hérétique et rebelle. Guillaume d’Orange mourut un an après son beau-père. La nature semblait avoir voulu montrer en ces deux hommes les contrastes où elle se complaît. Jacques fut l’homme du devoir convenu, Guillaume fut surtout l’homme du devoir réfléchi. Cette vaste tête politique ne dominait pas seulement en Hollande et en Angleterre, elle dominait en Europe. Dans sa première jeunesse, il avait résisté aux séductions de son oncle Charles II, aux avances de Louis XIV, qui voulait lui donner une de ses filles naturelles, et lui fit parvenir des offres brillantes. Jamais il ne cessa de se considérer lui-même comme le chef du parti protestant en Europe. Cette mission, qu’il avait reçue en héritage de son aïeul Guillaume le Taciturne, il y resta fidèle toute sa vie. On peut dire que cette œuvre capitale, l’établissement définitif de l’équilibre moderne de l’Europe, fondé par la paix de Munster, consolidé par celle d’Utrecht, n’a été ébranlée que par les récens événemens qui ont mis en question les résultats de l’histoire acquis depuis trois siècles.

La veuve de Jacques se retira au couvent de Chaillot, où les exercices de piété et les œuvres de charité remplirent son existence. Elle espérait marier sa fille, l’enfant née dans l’exil, au duc de Berry, le plus jeune des petits-fils de Louis XIV. La princesse ne déplaisait pas au roi ; mais la secrète jalousie de Mme de Maintenon, les désirs de la duchesse de Bourgogne, firent échouer ce projet. Pour son malheur, le duc de Berry épousa la fille du duc d’Orléans, plus tard régent de France. A l’âge de vingt ans, la jeune princesse d’Angleterre prit la petite vérole et succomba sans avoir été mariée. Enfin la mort de Louis XIV priva la reine de son unique soutien. Elle ne cessa cependant de connaître et de partager toutes les espérances, toutes les déceptions de son parti. Sa triste vie finit le 7 mai 1718 après une maladie de dix ou douze jours. « Sa vie, depuis qu’elle fut en France à la fin de 1688, dit Saint-Simon, n’a été qu’une suite de malheurs qu’elle a héroïquement portés jusqu’à la fin, dans l’oblation à Dieu, le détachement, la pénitence, les prières et les bonnes œuvres continuelles, et toutes les vertus qui consomment les saints ; parmi la plus grande sensibilité naturelle, beaucoup d’esprit et de hauteur naturelle qu’elle sut captiver étroitement et humilier constamment, avec le plus grand air du monde, le plus majestueux, le plus imposant, avec cela doux et modeste. Sa mort fut aussi sainte qu’avait été sa vie. Sur les 600,000 livres que le roi lui donnait par an, elle s’épargnait tout pour faire subsister les pauvres Anglais dont Saint-Germain était rempli. Son corps fut porté le surlendemain aux filles de Sainte-Marie de Chaillot. »