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de lui interdire le passage, conformément au traité d’Utrecht. En même temps l’amiral Byng réclamait les bâtimens armés pour les rebelles. Les navires furent confisqués au profit de la France, qui fit encore quelques démarches peu sérieuses pour essayer d’arrêter le prétendant. En deux endroits, des assassins, probablement soudoyés par le gouvernement anglais, avaient été postés sur sa route. Le chevalier dut la vie à la présence d’esprit de la maîtresse de poste de Nonancourt. En le faisant passer par des routes détournées, cette courageuse femme le garantit des embûches qui l’attendaient à divers endroits du chemin.

Le plus dangereux ennemi du prétendant, ce fut lui-même. Arrivé à Saint-Malo, il commit une faute irréparable. Au lieu de s’embarquer, il envoya le duc d’Ormond à sa place essayer les dispositions du pays. Il promena lentement ses incertitudes sur 200 lieues de rivage français, tandis que de l’autre côté de la Manche on s’égorgeait pour lui. A la fin, il se décida à partir de Dunkerque, et descendit le 2 janvier 1716 à Peterhead en Écosse.

La triste grève de Peterhead, devenue aujourd’hui le rendez-vous de ceux qui s’embarquent pour les navigations boréales, a déjà les aspects mélancoliques, les lignes fuyantes, la verdure sombre des rivages polaires. Le prétendant, en touchant cette baie funèbre, put croire descendre chez les morts. L’aspect de la patrie lui dit peu de chose : rien ne put l’élever au-dessus de son naturel étroit et défiant. Après des semaines perdues en vaines parades, et lorsque la nécessité d’agir ne put être éludée, il se rembarqua brusquement sans avoir combattu, sans même avoir vu l’ennemi. Arrivé trop tard, reparti trop vite, le prétendant laissa deux fois douter s’il avait cédé à ses propres craintes ou à l’empire de ses favoris, espèce d’hommes qui ne se croient jamais flatteurs plus habiles que lorsqu’ils conseillent des lâchetés.

Le 22 février 1716, il descendit à Gravelines. N’osant reparaître en Lorraine, il se glissa furtivement en France ; il semblait vouloir cacher au monde un front humilié. Une nature si commune n’était pas capable de comprendre la dignité que le malheur ajoute aux grandes âmes. Louis XIV n’était plus. Le duc d’Orléans, régent pendant la minorité de Louis XV, devait se décider entre l’alliance de l’Espagne ou celle de l’Angleterre. Le souvenir des affronts qu’il avait reçus en Espagne, l’influence de Dubois, l’entraînèrent vers la Grande-Bretagne malgré les supplications du parti de Saint-Germain. Le prétendant n’avait plus rien à espérer. Reçu à Paris avec une hauteur humiliante, il partit pour Avignon, d’où il gagna Rome. A son passage à Turin, il eut une entrevue avec son cousin le duc de Savoie, alors roi de Sicile ; mais il n’en reçut que de vaines promesses. A Rome, le pape lui remit 20,000 écus. « Hors de là, dit