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caractère. Alors, dans ses saillies de colère, son langage devenait absurde. « Je vous ordonne, écrivait-il, d’exécuter mes ordres ou de ne jamais revenir, » sans réfléchir à tout ce que la dernière alternative pouvait amener de résultats fâcheux. Craignant toujours qu’on ne songeât à lui manquer parce que sa cause était malheureuse, il n’écoutait que son indignation, aimant mieux souffrir que de supporter le sacrifice de ce qu’il regardait comme sa dignité.

Après le siège de Gaëte, il s’ennuya de son inaction ; il avait vingt-quatre ans. Quelques partisans étaient venus lui parler vaguement d’une expédition en Écosse : il se décida à tenter l’aventure. La pusillanimité, la jalousie de son père le retenaient. Il parvint cependant à les vaincre, et le 9 janvier 1744 il quitta Rome. Pour dérouter les espions, il affecta d’aller chasser à Subiaco, tourna brusquement vers le nord et atteignit Savone. Un petit navire l’y attendait. Il esquiva une escadre anglaise, débarqua heureusement à Antibes, d’où il courut à cheval jusqu’à Paris, qu’il atteignit le 20 janvier. Il croyait être reçu à bras ouverts ; il ne put même parvenir à faire sa cour à Louis XV. De tous les ministres du roi, le cardinal de Tencin fut le seul qui lui montra des égards. Quelques émigrés, chefs ou membres de son parti, vinrent se grouper autour de lui. Mécontens de la position qu’on lui faisait à Paris, ils l’engagèrent à s’éloigner. Il gagna Gravelines, dans le plus strict incognito, sous le nom de chevalier Douglas.

Plusieurs lettres écrites à son père durant cette période de retraite intéressent par leur naturel. « Je me trouve dans une situation très particulière. Personne ne sait qui je suis, on ne sait ce que je suis devenu. Je dois dire que la contrainte est grande. Souvent je suis obligé de ne pas quitter ma chambre, de crainte d’être reconnu. Vous ririez de bon cœur en me voyant moi-même acheter mon poisson, marchandant un sou ou deux. Tous les jours, j’ai à répondre à de gros paquets de lettres. J’en reçus une hier qui me coûta à répondre sept heures et demie. » — « Il faut une grande dose de patience, écrivait-il encore, pour supporter les mauvais traitemens de la cour de France et les tracasseries de nos amis. Ni envers la cour ni envers nos amis la patience ne me manque. Il n’y a pas d’autre parti à prendre. » — Un autre jour : « Quoique je souffre, je ne le regretterai pas le moins du monde, si cela peut servir mon grand projet. Si c’était nécessaire, je me mettrais dans un tonneau comme Diogène. » Le moment semblait propice pour tenter une entreprise. L’Europe était en feu. Les troupes anglaises se trouvaient sur le continent ; leur victoire à Dettingen précédait une retraite ; la France préparait une entreprise navale. Charles-Edouard alla rejoindre la flotte française, commandée par l’amiral Roquefeuille, et s’embarqua sur le même navire que le maréchal de Saxe ;