Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jacobites vinrent en effet le rejoindre, mais pour lui déclarer que son entreprise touchait à la démence. Il fut étonné, indigné, et songea un moment à repartir. Seul, son ancien gouverneur, Sheridan, l’engagea à poursuivre. Ces conseils, tout-puissans sur son esprit, conformes d’ailleurs à ses propres sentimens, l’emportèrent sur toute opposition ; il quitta les îles, et débarqua sur le continent d’Ecosse, à Loch Nanuagh. La plage où abordait Charles-Edouard appartenait à la partie la moins civilisée du pays dont il se croyait souverain légitime. Mœurs, langage, costume, tout était à part dans cette population, qui n’avait plus d’analogue en Europe. Divisée en quarante tribus ou clans, elle ne dépassa jamais 100,000 âmes, formant ainsi la douzième partie de toute la population écossaise. La vieille vie celtique primitive se continuait encore chez ces tribus, refoulées aux extrémités des terres habitables, et que n’avait pas atteintes l’influence, partout si profonde, de l’empire romain.

Chacun de ces clans composait une seule famille ; tous les membres portaient le même nom, occupaient une partie distincte du pays, sans qu’entre eux il existât des contrats ni des stipulations. Les volontaires, qui de temps en temps venaient grossir leurs rangs, prenaient le nom du clan, devaient accepter son genre de vie. Le clan était gouverné par un chef qu’on appelait « la tête de la famille » (kean kinnhe). Au-dessous du chef se trouvaient ses lieutenans, les cadets de sa famille. Il y avait encore les gentilshommes (doaine-uailse), descendans des chefs passés ou parens des chefs présens, puis le peuple. Ce n’était pas une race d’hommes paisibles. La tradition leur apprenait que jadis les terres des plaines, lowlands, plus riches et plus fertiles, leur avaient appartenu : ils en prenaient le droit d’aller y chercher leur butin. De là une lutte continuelle contre ces voisins qui les avaient poussés dans la montagne, une aversion profonde contre les lois du gouvernement, auquel ils n’étaient soumis que nominalement. Autant d’hommes adultes, autant d’hommes armés, professant le mépris de la vie sédentaire. Des rivalités, des querelles fréquentes éclataient entre eux ; elles entretenaient les habitudes guerrières en les forçant à se tenir sur un qui-vive perpétuel, pour prévenir ou pour repousser les attaques auxquelles ils étaient exposés.

Telle était la situation du pays au moment de l’arrivée du prince, au mois de juillet 1745. Sur cette terre encore à moitié sauvage, la nouvelle de son arrivée causa une sorte de stupeur. Des chefs de clans vinrent le trouver, mais pour lui représenter de nouveau l’imprudence de son entreprise et les dangers qui l’attendaient. Il les écouta, n’accepta aucune de leurs objections, se déclarant prêt à jouer sa vie. Le trouvant inébranlable, ses fidèles finirent par se soumettre. Le premier qui promit de marcher fut père d’un