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autres le baron de La Hontan, une espèce d’aventurier qui allait publier la relation de ses voyages en Hollande et terminer ses jours en Portugal, et le père Charlevoix, qui visita la région des lacs en 1721, ne nous apprennent rien de plus nouveau que ce qu’ont dit les premiers pères jésuites, véritables découvreurs des grands lacs et du Mississipi. Les mauvais jours allaient bientôt venir. La guerre de sept ans, qui mit la France en lutte avec l’Angleterre et nous fut si fatale, eut son contre-coup en Amérique, où peut-être même elle avait eu son origine. En 1763, par le traité de Paris, Louis XV abandonnait le Canada et les grands lacs à l’Angleterre. La France se trouva ainsi exilée de ces provinces que ses courageux enfans avaient seuls jusqu’alors parcourues, et où pendant près de deux siècles et demi, de Jacques Cartier (1535) au marquis de Montcalm (1760), avait flotté le drapeau aux fleurs de lis. Comme pour combler la mesure, le premier consul en 1803 vendait aux États-Unis la Louisiane pour quelques dizaines de millions, et dès lors l’influence française s’éclipsait sur le continent de l’Amérique du Nord.


II. — LE VOYAGE SUR LES LACS.

Avant le développement extraordinaire qu’ont pris les chemins de fer aux États-Unis, un voyage sur les grands lacs et la rivière Saint-Laurent était une des distractions favorites de la société américaine et canadienne. Aujourd’hui encore il n’est pas rare de rencontrer dans ces parages pendant l’été des bateaux à vapeur chargés de touristes. On organise des parties de plaisir, et les jeunes et bruyantes misses partent en foule de Buffalo, de Cleveland, de Chicago, voire de Montréal ou de Québec. On va par essaims joyeux humer cette vivifiante atmosphère, courir ces mers d’eau douce aux ondes presque toujours paisibles et transparentes, claires comme la surface d’un miroir. Naguère les steamers faisaient fête à leurs nombreux visiteurs ; ils étaient ornés avec un grand luxe et pouvaient être comparés pour le confort à ceux de l’Hudson et du Mississipi. Aujourd’hui, devant la concurrence du railroad, toutes les superfluités ont disparu, On s’est tenu au nécessaire, et, sauf sur la ligne qui va du Niagara à Montréal et Québec, les aménagemens même laissent à désirer. La vitesse n’est plus aussi rapide. Plus d’un regrette le temps où deux steamers partant ensemble luttaient à la course. On ne prenait aucun souci de l’existence des passagers, tant pis si l’on sautait en chemin ; il s’agissait de n’être pas dépassé par un rival. La légende a conservé les émouvantes péripéties d’un de ces steeple-chases lacustres. Un capitaine ayant brûlé tout son charbon avait fait jeter sous les chaudières le mobilier du bord : les chaises, les tables, même les pianos, flambaient