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dissidens, et contre lesquelles ils n’ont aujourd’hui d’autre protection que la tolérance administrative. Les raskolniks redeviendraient libres de résider dans toute l’étendue de l’empire, de changer de domicile à leur gré et de voyager à l’étranger. Ils seraient autorisés à s’inscrire dans les guildes de marchands, à recevoir des distinctions honorifiques, des ordres ou des croix dont les Russes de toute classe sont très friands, enfin à fonder pour leurs enfans des écoles primaires. En ajoutant à toutes ces mesures l’introduction du mariage civil, ou mieux de l’enregistrement civil du mariage proclamé en octobre 1874[1], on voit de quelles grâces, de quels bienfaits les dissidens seront redevables au règne d’Alexandre II.

Il y aurait deux choses à demander à la législation nouvelle. Ce serait d’abord une distinction nette et permanente faite à un point de vue exclusivement civil, exclusivement laïque, entre les sectes réellement dangereuses et les sectes inoffensives, entre les doctrines manifestement intolérables et les doctrines seulement bizarres, afin que la liberté des unes ne fût plus compromise par une injurieuse confusion, et qu’en étant plus isolées et mieux définies, les autres fussent plus aisées à combattre. Ce serait ensuite que pour les affaires du raskol, pour les affaires religieuses en général, tout fût réglé par la loi et tout jugé par un tribunal public, sans intervention d’aucune prescription secrète, sans intrusion d’aucune mesure administrative. Alors même que ce double vœu serait satisfait, la nouvelle législation ne saurait avoir la même précision, ni la liberté de conscience les mêmes garanties, que si la Russie adoptait le principe que le pouvoir civil ne poursuit que les actes opposes aux lois civiles, toute loi spéciale sur la religion étant mise de côté. Pour cela, il ne serait pas besoin d’altérer la situation ou de diminuer les privilèges de l’église dominante. Les dissidens russes pourraient être vis-à-vis de l’église orthodoxe dans la position où sont aujourd’hui les non-conformistes anglais vis-à-vis de l’église anglicane. Tout le monde y gagnerait en dignité comme en liberté, l’église et le clergé orthodoxe non moins que les raskolniks. Les habitudes d’activité et de self-government des dissidens réagiraient heureusement sur l’église, sur le peuple, sur l’état lui-même, tandis que l’instruction et le grand jour de la liberté éclaireraient peu à peu les adeptes du schisme et dissiperaient les ténèbres où s’abritent les plus grossières hérésies. Il est des plantes qui aiment l’obscurité et les lieux sombres, qui ne vivent que dans des grottes ou des caves. Un grand nombre de sectes russes ressemblent à ces plantes qui fuient la lumière, on n’a qu’à les faire sortir de leur

  1. Voyez à ce sujet notre étude de la Revue du 1er mai 1875.