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2,341 habitans seulement. Cette proportion n’aurait rien d’effrayant en elle-même, si dans les campagnes les médecins n’étaient beaucoup plus dispersés que ce chiffre ne paraît l’indiquer. En effet, dans les départemens qui comptent des centres importans de population, des stations hivernales fréquentées, des villes d’eaux à la mode, les médecins s’accumulent ; dans les pays pauvres, purement agricoles ou industriels, ils sont de plus en plus clair-semés. Dans les Hautes-Alpes, le Nord, la Haute-Loire, l’Ardèche, on ne compte qu’un médecin sur 6,400 habitans environ ; dans l’Ille-et-Vilaine, le Pas-de-Calais, le Finistère, 1 pour 7,400 habitans, 1 sur 8,100 dans la Creuse, 1 sur 8,700 dans la Corse et dans les Côtes-du-Nord, 1 sur 10,500 dans le Morbihan. N’est-ce pas une proportion bien insuffisante ? Sans doute nous sommes prêts à reconnaître, pour ne rien exagérer, qu’avec les voies de communication nouvelles le médecin de campagne peut bien mieux qu’autrefois rayonner à de grandes distances, mais ce rayonnement a ses limites ; les distances ne peuvent être franchies qu’avec une grande perte de temps, et les heures sont précieuses en médecine plus encore qu’en affaires. On peut donc dire en thèse générale que dans nos campagnes le médecin n’est pas suffisamment à la portée du malade. Il y a là un vice d’organisation dont le paysan aisé souffre lui-même, mais dont le paysan pauvre est bien autrement victime, car, quel que soit l’esprit de charité du praticien de campagne, on ne peut espérer de lui, et il serait injuste de le lui demander, de faire passer la clientèle pauvre avant la clientèle payante, et les droits de l’humanité avant ses intérêts les plus immédiats.

D’où peut venir cette tendance de plus en plus marquée chez les jeunes médecins à ne pas s’établir dans les campagnes ? On dit que c’est la difficulté d’y vivre avec l’exercice de la profession ; nous avons peine à l’admettre. Si modeste que soit encore la position, elle s’est singulièrement améliorée depuis 1847. Quel rude métier que celui de médecin de campagne il y a trente ans, et quels maigres résultats au bout de tant d’efforts ! Aujourd’hui l’aisance a pénétré au village, le médecin a pu doubler ou tripler le prix de ses visites, et malgré cela faire ses recouvremens avec moins de peine qu’autrefois. Qu’on ajoute à ces avantages celui de trouver une position toute faite et de n’avoir pas à lutter une partie de sa vie pour conquérir la clientèle ; franchement est-ce là une situation à dédaigner ? Il est donc probable que ce qui détourne de la médecine rurale tant de jeunes gens qui s’y adonneraient volontiers, c’est moins la crainte de n’y pas rencontrer une profession assez lucrative que l’impossibilité de subvenir aux dépenses d’une instruction longue et dispendieuse. Les jeunes gens de familles pauvres n’ont pas à l’École de médecine comme