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qui se transplantent sans être forcés de modifier leurs habitudes ; mais le cosmopolitisme germanique rend faciles des sacrifices dont s’irrite la fierté espagnole. La sentimentalité allemande se double, nous l’avons, hélas ! appris à nos dépens, d’un sens pratique très développé, qui est un des plus puissans ressorts de la race saxonne. Si l’Allemand dépaysé résiste aux épreuves physiques de l’expatriation, la nostalgie ne le consume pas lentement ; les qualités positives de sa nature le préservent de l’énervement des regrets stériles, et tournent bientôt toute son activité vers l’utile. Alors il ne sent plus, il calcule et agit en conséquence. C’est ainsi que l’intérêt efface peu à peu de son cœur l’image d’une patrie qui n’a pu le nourrir et dont l’éloignement amortit d’ailleurs l’attraction, pour l’attacher sans retour à des lieux où il prospère. Une fois décidé de la sorte à un établissement définitif en Algérie, ce même intérêt lui enseigne bientôt le prix d’un changement d’état qui lui confère simultanément la capacité politique, l’accès à tous les emplois publics et à tous les privilèges réservés aux nationaux, enfin la complète égalité devant la loi. Ainsi et pas autrement s’explique comment les naturalisations comptent dans ce groupe pour plus d’un dixième, tandis que dans les autres la proportion en est si faible.

Les causes qui amènent ces incorporations sont d’ailleurs devenues sensiblement plus actives depuis que l’Algérie a été remise en jouissance de ses droits politiques. C’est ce dont on trouvera la démonstration dans les documens statistiques déjà cités. On y voit que les naturalisations, qui en 1870, alors qu’elles portaient aussi sur les Juifs, ne s’élevaient qu’au chiffre de 1,039, atteignaient au 31 décembre 1873 celui de 2,321, soit une augmentation de 1,282, obtenue cependant pour une période plus courte de deux ans et sur un élément devenu plus restreint. A cette dernière date, 307 demandes avaient été définitivement rejetées, et il en restait plusieurs milliers à instruire. Ces demandes émanent presque exclusivement des étrangers, qui forment aussi la grande majorité des naturalisés, l’indigénat musulman ne nous ayant donné jusqu’ici, comme on peut le voir par un document inséré au Journal officiel du 7 avril, que 250 citoyens français. Nous ne possédons pas les chiffres pour 1874, mais les constatations que nous avons parfois relevées dans le Moniteur de l’Algérie nous permettent d’affirmer que la publication de ces chiffres apportera une preuve nouvelle du progrès rapide et continu de là naturalisation parmi les étrangers. Il est peut-être d’un intérêt vital pour l’Algérie d’encourager ce mouvement. Après les nombreuses insurrections indigènes qu’il a fallu réprimer, surtout après celle de 1871, qui faillit mettre notre domination en péril, on se ferait une étrange illusion en