Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/695

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méconnaissant combien est précaire la fidélité des tribus. Sans doute on triomphe de la rébellion avec des soldats, mais au prix de quels sacrifices ! Ce sont chaque fois, indépendamment du sang versé dans les combats, des destructions sauvages et des assassinats de colons. On préviendrait peut-être ces maux, ou du moins on les diminuerait notablement, en asseyant sur le territoire une population européenne assez nombreuse pour équilibrer partout les forces de l’indigénat.

Dès le lendemain de la conquête, on proclamait la nécessité du peuplement européen. Cette théorie a été la règle de tous les gouvernemens jusqu’à l’empire, qui l’abandonna pour les doctrines opposées du royaume arabe. Le dernier gouverneur-général, qui ne voyait l’avenir de l’Algérie que dans la mise en pratique de cette théorie, la reprit avec toute la passion de son ardente nature, mais en y mêlant des préoccupations dont on ne s’était pas avant lui avisé. Redoutant qu’en cas de guerre maritime la présence de nombreux étrangers sur le sol algérien pût devenir un danger, il n’y eût voulu que des Français. L’agitation qu’il trouvait en Algérie, les allures indépendantes des habitans avaient surpris son esprit habitué au calme et à la discipline de nos colonies transatlantiques. Il attribuait en grande partie cette discipline à l’absence des étrangers, et cette indiscipline à leur contact. L’attitude de divers organes de la presse locale qui propageaient les idées fédéralistes importées par quelques réfugiés espagnols l’affermissait dans ses préventions. Il appuyait aussi sa thèse de l’exemple des nations dont il avait, dans ses voyages maritimes, parcouru les établissemens lointains. Les colonies de ces peuples, l’élément indigène mis à part, ne sont remplies que de leurs nationaux ; les étrangers, s’ils n’en sont pas tout à fait absens, n’y figurent en général que pour des minorités imperceptibles et partant incapables d’y créer à un moment donné des embarras sérieux. En Algérie, la population française, y compris les 34,000 Juifs naturalisés en bloc et 4,000 ou 5,000 Alsaciens-Lorrains venus à la suite de nos désastres continentaux, n’atteint pas 180,000 âmes. Elle est, relativement à l’indigénat musulman, dans la proportion de 1 à 14 à peu près, et à côté d’elle nous comptons 113,000 étrangers de toute provenance, mais dont plus de la moitié appartiennent à une même nationalité. Voilà où nous en sommes après quarante-cinq ans d’occupation. — L’on n’a jamais contesté que la meilleure combinaison du peuplement de l’Algérie né fût celle qui se ferait uniquement par des Français ; mais de pareils résultats n’autorisent-ils pas à regarder cette combinaison comme chimérique ?

Si, parmi les causes qui ont entravé l’activité du peuplement