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Elle est tout entière à elle-même, fêtant par des commémorations populaires ses vieilles illustrations, Pétrarque l’an dernier, tout récemment à Ferrare l’Arioste et Savonarole, bientôt Michel-Ange, — se reposant dans le sentiment de son existence nationale affermie et garantie, précisément par l’habile prudence de ceux qui conduisent ses affaires. Ce ne sont ni les tentations étrangères, ni les déclamations révolutionnaires qui restent sans écho, ni quelques effervescences d’étudians à l’université de Naples qui peuvent altérer cette fine modération, essence du caractère national, tel qu’il se retrouve chez la plupart des hommes éminens qui ont marqué dans les révolutions contemporaines.

Il y a encore à Florence un de ces hommes de fine et forte race, plus qu’octogénaire aujourd’hui, aimé autant que respecté dans son pays : c’est le marquis Gino Capponi, qui vient de publier une Histoire de la république de Florence. Descendant d’une des plus vieilles familles de l’ancienne république, mêlé depuis sa jeunesse à tous les événemens par le conseil encore plus que par l’action, ami de tous les écrivains de son temps et même de beaucoup d’écrivains français à qui il a offert l’hospitalité dans sa belle villa de Varramista, le marquis Gino Capponi est resté un de ces vieux types de modération supérieure, de libéralisme, de haute culture politique et littéraire. Le poète Niccolini disait de lui autrefois que c’était « la fleur des hommes de bien et de savoir. » Président du conseil un instant en 1848 et bientôt débordé par la révolution, puis par les réactions, il rentrait dans la retraite, d’où il n’est sorti que pour devenir par une sorte de désignation spontanée sénateur du royaume d’Italie. Sans cesser d’être Florentin, il est devenu Italien de cœur. Malheureusement il a depuis longtemps les yeux fermés à la lumière, c’est le grand aveugle de Florence. Son infirmité ne lui a été douce qu’un jour, en 1849. Comme il passait sur le Pont-Vieux conduit par un ami, les Autrichiens défilaient tambour battant sur le quai de l’Arno ; « ce sont eux, dit-il d’un accent brisé, au moins je ne les verrai pas ! » Malgré tout, ce grand et robuste vieillard a gardé une singulière clairvoyance d’esprit. S’intéressant toujours à la France, initié à la politique européenne, il juge les événemens avec une raison supérieure ; il se tient au courant de tout, et avec les souvenirs de ses lectures, avec les archives de sa famille dépouillées pour lui, il a pu dicter cette Histoire de la république de Florence, dont la pensée, par une coïncidence curieuse, est une sorte d’héritage recueilli de M. Thiers, qui devait, lui aussi, raconter les annales florentines ; « mais, ajoute le marquis Capponi, une histoire autrement importante et toute française appelait à elle l’illustre auteur. » Œuvre d’érudition et de style, l’Histoire du marquis Capponi n’a pas moins une portée politique ; elle se propose, selon l’idée de M. Thiers lui-même, de décrire une des démocraties les plus avancées dans un temps où toutes les sociétés vont vers la démocratie, et c’est ainsi que ce vaillant homme, privé de la lumière, chargé d’an-