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s’étendit dès cette époque la main rapace de la Germanie, et il fut le plus ardent à provoquer un concert des puissances qui finit par arracher aux Allemands la proie tant convoitée. Il intervint directement en Hongrie, et aida de ses forces militaires à y écraser une insurrection formidable qui avait ébranlé jusque dans ses fondemens l’antique empire des Habsbourg, miné à la fois par des troubles intérieurs et une guerre d’agression que lui suscitait à deux reprises le royaume de Piémont. Peu porté déjà par ses principes et ses intérêts à favoriser cette Allemagne unitaire « dont la première pensée a été une pensée d’extension injuste, le premier cri un cri de guerre[1], » il pesa plus tard de tout son poids pour amener le rétablissement pur et simple de la confédération germanique sur les bases d’avant 1848. Les liens de parenté et d’amitié qui l’unissaient à la cour de Berlin ne furent jamais assez forts pour lui faire abandonner un seul instant la cause de la souveraineté des princes et de l’indépendance des états, et, malgré l’affection sincère qu’il portait à « son beau-frère le poète, » il n’épargna au roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV ni l’évacuation des duchés, ni les dures conditions d’Olmutz. Défenseur du droit européen sur l’Eider et le Mein, du droit monarchique sur la Theiss et le Danube, pacificateur de l’Allemagne et, pour ainsi dire, grand justicier de l’Europe, Nicolas eut à ce moment de l’histoire une grandeur véritable, un prestige immense, bien mérité en somme, et qui ne laissait pas de rejaillir sur les agens chargés de représenter à l’étranger une politique dont personne n’osait contester la fermeté inébranlable et la parfaite droiture.

En accréditant le prince Gortchakof auprès de la confédération germanique, l’empereur Nicolas, par une lettre autographe datée du 11 novembre 1850, saluait dans la réunion de la diète de Francfort « un gage du maintien de la paix générale, » et caractérisait ainsi d’un trait profond et judicieux la mission honorable et bienfaisante échue à cette diète dans l’ordre de choses créé par les traités de 1815. Quelque légitimes qu’aient pu être les griefs des libéraux allemands contre la politique intérieure du Bund et ses tendances peu favorables au développement du régime constitutionnel, on ne saurait nier cependant qu’au point de vue européen, et par rapport à l’équilibre et à la paix générale du monde, ce ne fût là une conception merveilleuse, bien propre à sauvegarder l’indépendance des états et à empêcher toute perturbation profonde au sein de la famille chrétienne. Les esprits chimériques et mercantiles du temps, les coryphées de Manchester et les publicistes riches d’au moins « une idée par jour » venaient d’imaginer en ce

  1. Expressions de la circulaire russe du 6 juillet 1848, adressée par le comte Nesselrode à ses agens en Allemagne.