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moment de déclarer « la guerre à la guerre, » de pousser au désarmement universel, à l’abolition de l’esclavage militaire, et convoquaient à cet effet des congrès de paix bruyans sur les divers points du globe. Ils eurent même un jour la naïveté d’en convoquer un à Francfort, sans se douter qu’à côté d’eux, et précisément dans ce Bundestag de si modeste apparence, siégeait depuis longtemps un congrès de paix véritable, permanent, un congrès qui faisait le bien dans la mesure du possible, et qui avait de plus l’avantage de ne pas être ridicule.

Placée au centre même de l’Europe, séparant par son corps épais et difficilement mobile les grandes puissances militaires qui bordaient pour ainsi dire notre vieux continent, puissance forcément neutre et presque arbitrale sur ces vastes champs où se décidaient autrefois les destinées des empires, la confédération germanique formait un ensemble d’états assez cohérent et compacte pour repousser tout choc du dehors, pas assez pour devenir agressif lui-même et menacer la sécurité des voisins. Bien des années plus tard, et déjà comme chancelier de l’empire, le prince Gortchakof devait encore, dans une circulaire célèbre, rendre hommage à cette combinaison salutaire du Bund, « combinaison purement et exclusivement défensive, » qui permettait de localiser une guerre devenue inévitable, « au lieu de la généraliser et de donner à la lutte un caractère et des proportions qui échappent à toute prévision humaine, et qui dans tous les cas accumuleraient les ruines et feraient verser des torrens de sang[1]. » En effet, si, dans ce long demi-siècle qui a séparé le congrès de Vienne de la bataille néfaste de Sadowa, les frontières des états ont si peu changé malgré tant et de si grands changemens dans leur politique intérieure, si la révolution de juillet, la campagne de Belgique, et jusqu’aux guerres de Crimée et d’Italie ont pu avoir lieu sans troubler notablement la balance des nations, ni les léser dans leur indépendance, on en fut redevable surtout à ce Bundestag tant méconnu, qui par son existence même, par sa position et le rouage de son mécanisme compliqué, empêchait tout conflit de devenir aussitôt une conflagration générale. Il est douteux que la cause de l’humanité et de la civilisation, ni même la cause que représente plus spécialement le chancelier de l’empire russe avec tant de facilité et d’éclat, aient considérablement gagné à voir cette ancienne « combinaison » remplacée de nos jours par une autre beaucoup plus simple, il est vrai, mais peut-être bien aussi beaucoup moins rassurante.

Tout en s’acquittant avec zèle des devoirs de sa charge auprès de la confédération germanique, Alexandre Mikhaïlovitch continuait

  1. Circulaire russe du 27 mai 1859, à propos de la guerre d’Italie.