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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/843

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LE MAJOR FRANS

par le facteur et qui crut d’abord, m’a-t-elle dit ensuite, qu’il s’agissait d’un exploit d’huissier. Je la congédiai au plus vite, et je tirai le verrou derrière elle. J’avais un intense besoin d’être seul et de me persuader que je n’étais pas la victime de quelque mystification empruntée aux Mille et une Nuits.

Le fait est qu’après m’être convaincu de la réalité, je fus assailli par une indescriptible confusion d’idées et d’impressions. Mon cœur battait à se rompre, je ne sais quoi me serrait la gorge, et le premier profit que je tirai de ma fortune à venir fut un beau mal de tête. Je ne suis pas un stoïcien et n’ai jamais voulu m’en donner l’apparence. Je ne cessais dans les derniers temps de me demander ce que je pourrais faire pour sortir de la misérable condition où j’ai végété jusqu’à présent, je ne trouvais qu’un expédient : me réconcilier avec mon oncle le ministre, devenir attaché de quelque ambassade ; mais cela me coûterait beaucoup, depuis que son excellence m’a défendu sa porte à cause des articles que j’ai insérés dans une feuille de l’opposition. Comme je regrettais de n’avoir pu terminer mes études et de ne pouvoir m’intituler docteur en l’une ou l’autre branche ! À vingt-neuf ans, on ne peut recommencer à étudier pour s’ouvrir une carrière, et j’en étais à compter sur mes doigts les arriérés qui grèvent mon humble budget, quand tout à coup je me vois devenu gros propriétaire. Flegmatique juriste, n’était-ce pas assez pour mettre une pauvre cervelle comme la mienne sens dessus dessous ? Venez donc vite à mon secours, d’autant plus qu’il est un point sur lequel je dois vous consulter avant d’accepter définitivement cet héritage. Peut-être ce point ne soulèvera-t-il aucune difficulté à vos yeux de jurisconsulte ; mais aux miens il pourrait créer un cas de conscience ou du moins de délicatesse, qui ferait évaporer mon million comme une brume du matin. Je ne veux rien décider sans vous avoir consulté. J’ai fait passer au notaire sur sa demande une procuration pour qu’il puisse agir en mon nom, mais sous réserve. Ici j’ai beaucoup de connaissances, mais pas un ami assez intime pour oser tout lui dire sans craindre d’être mal compris ou ridicule.

Et maintenant au revoir le plus tôt possible. Avec et sans million, toujours à vous.

Léopold de Zonshoven.


L’avocat Willem Yerheyst reçut par le même courrier ce billet anonyme :

« Il nous paraît probable que M. L. de Zonshoven vous consultera pour une affaire très importante pour lui. Aidez-le à surmonter toutes les difficultés qui l’empêcheraient d’accepter certain héritage et ne le laissez pas repousser sans examen sérieux telle proposition qui pourrait lui être faite. Celui qui vous écrit est complète-