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établissemens d’instruction pratique. Je ne suis point tout à fait de cet avis. Pour arriver au but qu’on désire, une transformation de ce genre ne serait pas le moyen le plus sûr, ni le plus rapide, ni le plus juste. En effet, un collège où l’on apprend le latin et le grec ne renonce pas si facilement à ces études : il croit déchoir en les perdant, et s’il les remplace par un autre enseignement, c’est sans conviction et de mauvaise grâce. Dans cette résistance, il a ordinairement pour alliée une partie de la population, et non pas la moins bien posée, qui demande le maintien des leçons dont elle a besoin pour ses enfans. De là une lutte qui finit le plus souvent par un compromis où l’un et l’autre enseignement trouvent une satisfaction imparfaite. Le véritable parti à prendre, c’est de conserver nos collèges et nos lycées, c’est d’élever à côté d’eux, en dehors d’eux, des établissemens d’une autre nature. Il ne faut pas objecter le manque d’argent. Nos villes sont-elles moins riches que les municipalités d’Allemagne, de Belgique et de Suisse ? Dans telle commune du canton de Berne, située au milieu des montagnes, comptant 4,000 habitans, on trouve une école primaire, une école supérieure, une realschule, un collège latin, sans parler de l’école primaire et de l’école supérieure pour les filles. Au lieu de tiraillemens fâcheux et de stériles récriminations, l’émulation s’établira entre l’un et l’autre enseignement ; le nombre des habitans s’intéressant à l’instruction, prêts à faire des sacrifices pour elle, s’étendra. Il se trouvera que, notre realschule une fois fondée et remplie, le collège n’aura pas vu diminuer le nombre de ses élèves. Libre désormais de se vouer aux études de son choix, il pourra les approfondir à son gré, et il reconnaîtra que la création de l’enseignement pratique est pour lui-même une garantie de sécurité et une condition de force.


MICHEL BREAL.