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LE
SALON DE 1875

Le Salon de peinture est particulièrement étrange et intéressant cette année. Jamais on n’a constaté autant d’efforts individuels et moins d’unité, une infécondité plus générale et une fièvre de production plus ardente ; jamais on n’a vu plus de prétention jointe à plus de faiblesse, plus de confiance et moins de foi, plus de talens et moins d’œuvres. Au milieu des décombres de nos grandeurs, il y a un chaos de fermentations singulières, une confusion d’individualités ardentes qu’on dirait prêtes à tout. Les grandes batailles d’école à école ne sont plus qu’une mêlée d’aventuriers sabrant au hasard, n’ayant ni drapeau, ni chef, ni croyances, ni respect, ni tactique, et ne songeant qu’au butin, de sorte que ceux qui croient voir dans l’art d’une époque l’expression de son état moral pourraient de l’aspect du Salon tirer d’étranges conséquences.

Le scepticisme, l’esprit d’analyse à outrance et d’indépendance quand même, en anéantissant le passé tout entier, ont détruit du même coup certains préjugés qui lui étaient propres, et par suite ont pu donner aux sciences un essor nouveau et leur ouvrir une route qu’on ignorait ; mais ils ont produit un effet tout contraire dans ce monde des arts où la foi, fût-elle doublée d’une erreur, est la seule source féconde, et où l’on ne comprend tout qu’à la condition de ne pouvoir rien créer.

Ce qui est curieux à constater au milieu de l’incrédulité générale, c’est la facilité d’enthousiasme dont le public est atteint. Est-ce bien de l’enthousiasme ? On ne saurait dire. C’est tout au moins le besoin d’y faire croire et d’afficher des émotions qui sentent leur gentilhomme et complètent l’homme enrichi. Certains se font amateurs et connaisseurs en art comme d’autres se font maquignons. L’emploi de mots techniques, la connaissance superficielle de certains