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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/938

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M. Léon Belly rend une impression analogue dans sa mélancolique Lande de Sologne. Ce sont bien là ces espaces immenses avec leurs lointaines silhouettes de sapinières sombres, je reconnais ces petits moutons rudes et secs comme le sol. La facture de M. Belly est précieuse et apparente. Dans son ciel, excellent d’ailleurs, ces rayons de soleil traversant les nuages et coupant l’espace de larges bandes alternativement claires et foncées sont vrais sans doute, mais paraissent légèrement affectés. Tous nos complimens à M. Belly ; on s’attarde devant cette toile émue.

Les deux tableaux de M. Harpignies ont du caractère et de la tournure, et en même temps une saveur un peu âpre d’originalité et de conviction qui séduisent beaucoup. A première vue, cela est rude, osseux et dépouillé, on souhaiterait plus de grâce, de souplesse, et quelques voiles, quelques sourdines par-ci par-là, et puis on se fait à ce goût de sauvageon, on se prend de tendresse pour cette peinture personnelle et distinguée, qui reste en dehors et au-dessus des concessions à la mode, et où l’on sent la recherche d’un véritable artiste. M. Harpignies n’imite personne ; qu’il craigne de s’imiter un peu lui-même.

Les paysagistes contemporains sont des causeurs, des humoristes. Que leur toile soit grande ou petite, c’est une œuvre intime qu’ils vous livrent, une confidence qu’ils vous font. De là l’originalité, la valeur et le caractère tout spécial de cet art né d’hier. M. Français, qui fut causeur en son temps et charmant causeur sous les bois de Clamart et sur les berges du Bas-Meudon, est devenu orateur, et ce sont des discours en trois points qu’il prononce. Tout d’ailleurs y est irréprochable : composition savante, exorde clair, péroraison parfaite, geste sobre et digne, pathétique contenu. M. Français ne livre plus rien de ses impressions personnelles ; ce sont des questions qu’il traite, et il le fait en professeur érudit et autorisé. M. Bénouville occupe une bonne place à côté de M. Français ; il ne laisse rien aux hasards d’une fantaisie vagabonde, sa peinture soignée, précise, ne manque ni de distinction ni de caractère.

La Vallée de Porteville, de M. Daubigny, est largement exécutée. Le ciel est un peu cahoté. Au premier plan, un vide bien grand ; l’ensemble n’en est pas moins d’une belle impression. Cela rappelle les maîtres anglais. M. Pelouze s’est mis en colère, et il a eu tort. Il dépasse la mesure des empâtemens violens et des déchaînemens de brosse. Citons les deux bons tableaux de M. Zuber, — la Ferme et le Printemps, de M. Defaux, — les toiles élégantes et fines de M. Lapostolet ; sa Vue de Rouen est peinte dans une harmonie grise et calme qui est d’une vérité charmante, et je lui passe bien volontiers ses accens un peu noirs dans les toits de la ville.