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regatoes, véritables marchands d’hommes, et un petit nombre d’employés des maisons de commerce de Para, alléchés par des gains énormes, osaient braver les fatigues d’une navigation toute primitive, qui durait de quatre à six mois, pour aller chercher en amont le caoutchouc, le cacao, les noix dites de Para, les résines et les viandes sèches. Aujourd’hui encore le plus clair du négoce sur le Madeira se fait par les embarcations boliviennes qui descendent et remontent périodiquement le fleuve ; le pays lui-même, immense vallée d’alluvion qui pourrait nourrir des millions d’hommes, compte tout au plus quelques milliers d’habitans. Parmi ceux-ci, les plus curieux sont à coup sûr les seringueiros ou exploiteurs d’arbres à caoutchouc. C’est à la hauteur de Borba qu’apparaissent les premières maisonnettes de ces industriels semi-amphibies. Ce sont d’humbles toits de palmier qui, pour rester habitables au temps de la crue, sont bâtis sur piliers, à 2 mètres au-dessus du sol ; tout alentour se trouve une petite plantation de pacova (bananier indigène), et à l’arrière-plan se dressent les seringaes ou bouquets d’arbres à suc. Les travailleurs employés à la double besogne de la cueillette et de la fumigation sont généralement des Moxos de Bolivie, qui, se trouvant soumis dans leur pays à une condition malheureuse et presque servile, affluent par migrations régulières dans les riches plaines de l’empire voisin. Fort différens de l’apathique tapuyo de l’Amazone, ces Indiens déploient dans tous les travaux de leur compétence une activité et une énergie bien conformes aux promesses de leur vigoureuse prestance.

Depuis 1865, malgré le manque de débouchés et de moyens de transport, l’exportation du caoutchouc amazonien accuse une progression constante, et dépasse par an 400,000 arrobes. Ajoutons que le tout provient des seringas naturels, car ces arbres si utiles n’ont pas encore été l’objet du moindre essai de culture. Ce genre d’exploitation inintelligent est d’ailleurs général dans ces régions encore primitives, où il semble qu’on ne verra point le terme des libéralités toutes volontaires de la nature. Le même gaspillage a lieu au Brésil pour la manipulation du caféier. Tous les vingt-cinq ou trente ans, on abandonne purement et simplement les plantations dont on a exprimé la sève, et au lieu de chercher, par quelque système artificiel d’engraissement, à prolonger la fécondité des arbustes, on préfère défricher sans cesse des étendues nouvelles de forêt, où l’on retrouve ce sol tout neuf que ne présente plus la clairière. L’œuvre de déboisement va ainsi un train effrayant ; mais qu’importe ? Le planteur échappe au pénible souci de modifier du tout au tout ses procédés d’économie rurale ; la routine demeure sauve et la paresse indigène triomphe. Ainsi travaillent de leur côté les seinngueiros ; leurs arbres épuisés meurent