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terre, il y tient plus que personne parmi les maîtres dont il est l’égal. C’est le peintre qui vient au secours du dessinateur et du penseur et qui les dégage. Aussi beaucoup de gens ne peuvent-ils le suivre dans ses élans ; on a bien le soupçon d’une imagination qui s’enlève, on n’en voit que ce qui l’attache en bas, dans le commun, le trop réel, les muscles épais, le dessin redondant ou négligé, les types lourds, la chair et le sang à fleur de peau. On n’aperçoit pas qu’il a cependant des formules, un style, un idéal, et que ces formules supérieures, ce style, cet idéal, sont dans sa palette.

Ajoutez à cela qu’il a ce don spécial d’être éloquent. Sa langue, à la bien définir, est ce qu’en littérature on appellerait une langue oratoire. Quand il improvise, cette langue n’est pas la plus belle ; quand il la châtie, elle est magnifique. Elle est prompte, soudaine, abondante et chaude. En toutes circonstances, elle est éminemment persuasive. Il frappe, il étonne, il vous repousse, il vous froisse, presque toujours il vous convainc, et, s’il y a lieu de le faire, autant que personne il vous attendrit. On se révolte devant certains tableaux de Rubens ; il en est devant lesquels on pleure, et le fait est rare dans toutes les écoles. Il a les faiblesses, les écarts et aussi la flamme communicative des grands orateurs. Il lui arrive de pérorer, de déclamer, de battre un peu l’air de ses grands bras ; mais il est des mots qu’il dit comme pas un autre. Ses idées même en général sont de celles qui ne s’expriment que par l’éloquence, le geste pathétique et le trait sonore.

Notez encore qu’il peint pour des murailles, pour des autels vus des nefs, qu’il parle par conséquent pour un vaste auditoire, qu’il doit se faire entendre de loin, frapper de loin, saisir et charmer de loin ; d’où résulte l’obligation d’insister, de grossir ses moyens, d’amplifier sa voix. Il y a pour ainsi dire des lois de perspective et d’acoustique qui président à cet art solennel, d’apparat, de grande portée.

C’est à ce genre d’éloquence déclamatoire, incorrecte, mais très émouvante, qu’appartient le Christ voulant foudroyer le monde. La terre est en proie aux vices et au crime, incendies, assassinats, violences ; on a l’idée des perversités humaines par un coin de paysage animé, comme Rubens seul sait les peindre. Le Christ paraît armé de foudres, moitié volant, moitié marchant, et tandis qu’il s’apprête à punir ce monde abominable, un pauvre moine, dans sa robe de bure, demande grâce et couvre de ses deux bras une sphère azurée, autour de laquelle est enroulé le serpent. Est-ce assez de la prière du saint ? Non. Aussi la Vierge, une grande femme en robe de veuve, se jette au-devant du Christ et l’arrête. Elle n’implore, ni ne prie, ni ne commande ; elle est devant son Dieu ; mais elle parle à son fils. Elle écarte sa robe noire, découvre en plein sa large poitrine