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trop se défier des aphorismes creux, des vieilles phrases, des vieux clichés et des vieux galons. Un publiciste anglais a fait le compte de tous les inconvéniens auxquels est sujette la vaine recherche du prestige. Il a comparé les élémens décoratifs d’un système politique à ces rouages qu’on introduisait dans les horloges du temps passé pour indiquer les phases de la lune ou le nom d’une constellation, pour faire entrer et sortir des bonshommes ou de petits oiseaux, comme sur une scène de théâtre. L’horloge n’en marche pas mieux ; au contraire ces roues accessoires produisent des frottemens et détraquent la machine. La politique française au Levant n’a-t-elle pas abusé des petits oiseaux et des bonshommes ? Non moins inutiles qu’une horloge détraquée sont les moulins à vent qui tournent majestueusement dans l’air leurs longs bras, et que le meunier, faute d’avoir du blé à moudre, emploie à broyer du sable ou condamne à mâcher à vide. N’a-t-on jamais vu tourner à Constantinople des moulins a vent qui ne servaient à rien ? Il faut souhaiter que la France devienne résolument utilitaire, qu’elle fasse ce qu’on appelle à Berlin de la politique réaliste, qu’elle emploie son moulin à moudre de pur froment, qui lui donnera de bonne farine et de bon pain. Désormais elle n’a plus de temps ni d’argent à dépenser pour faire ou défaire des pachas, pour diriger les consciences ou pour épouser des querelles de moines.

L’achat des 176,000 actions a été communément regardé comme un signe des temps ; on y a vu l’indice manifeste des inquiétudes et des prévisions du gouvernement britannique. Il tenait la Turquie pour condamnée, il croyait à la prochaine liquidation de l’empire ottoman, et il prenait ses mesures en conséquence. Quand les murs menacent ruine, les rats s’en vont. Faut-il admettre que l’Angleterre sort de la question d’Orient comme on quitte une maison en démolition ? Un grand bruit s’est fait entendre à l’extrémité de l’Europe ; c’était la politique anglaise qui déménageait. Elle avait senti la terre trembler à Constantinople, et elle transportait au Caire son établissement principal. Que sont devenues les neiges d’antan, et quel Anglais répéterait aujourd’hui la hautaine et célèbre déclaration de lord Palmerston : « Je refuse de discuter avec quiconque ne reconnaît pas comme un principe l’intégrité de l’empire turc ? » Cette évolution de l’Angleterre n’a pas été aussi brusque qu’on pourrait le croire. Depuis bien des années, il lui était venu des doutes, des incertitudes, des perplexités. En 1870, la dénonciation du traité de Paris par la Russie acheva de lui ouvrir les yeux ; un trait de plume venait d’anéantir les résultats de la guerre de Crimée. À nouvelles circonstances, nouveaux conseils. Les vieilles politiques traditionnelles en Orient n’étaient plus de mise, et, comme si la nation avait été initiée aux entretiens intimes et aux résipiscences de ses gouvernans, on la vit écouler peu à peu sur la France et sur l’Italie une notable partie de ses fonds turcs.