à fait renoncé. L’esprit d’invention et l’activité industrieuse des habitans, qui au nombre de 100,000 végétaient sur cette terre, n’avaient aucune raison de se développer, et, faute d’un progrès quelconque, la ruine était imminente. Heureusement la révolution, en proclamant l’indépendance commerciale, éveilla l’esprit d’initiative, ouvrit le pays à l’activité étrangère, y révéla les inventions de l’industrie moderne, et, quoique dans une mesure encore restreinte, inaugura l’ère de l’exploitation lucrative et raisonnée de la pampa.
Les seuls établissemens qui aient servi à développer la production du bétail sont les saladeros. Le nom est fort ancien et se rencontre dès le début du dernier siècle dans les documens publics ; il n’existait cependant alors rien qui eût quelque analogie avec ce que l’on voit aujourd’hui. La fondation de ces usines, qui ont conservé dans leur aspect et leur mode de fabrication un cachet tout à fait primitif, a constitué vers le commencement de ce siècle un progrès considérable et ouvert aux estancieros le premier débouché important pour leurs troupeaux. L’origine en est fort obscure ; voici la tradition qui a cours à ce sujet.
En 1794, cinq matelots irlandais venus sur la côte de Patagonie pour la pêche de la baleine, se trouvant échoués et recueillis à Buenos-Ayres, eurent l’idée d’appliquer à la conservation de la viande les procédés de salaison et de séchage employés à celle du poisson ; c’était fort simple, mais l’ignorance des colons était telle, ils avaient eu jusque-là si peu d’intérêt à s’occuper de ces questions, que la révélation de ces cinq matelots fut accueillie comme une découverte des plus merveilleuses. On fit des essais qui réussirent parfaitement : des échantillons expédiés par des navires en partance firent le tour du monde sans s’altérer, en un mot le résultat fut du premier coup si satisfaisant qu’après quatre-vingts ans aucune modification n’y a été apportée, et le problème de la conservation de la viande, dans ce siècle de la chimie, n’a pas fait un pas.
De ce jour, l’industrie si importante des saladeros était créée. Cependant il ne fallait pas songer à fabriquer du jour au lendemain des quantités considérables de viande salée. Ce qui faisait défaut, c’étaient non-seulement les hommes entendus et pratiques dans ce travail nouveau, mais encore le sel, les tonneaux, et, ce qui était plus grave, les capitaux. Il fallut, comme toujours, que les hacendados s’adressassent au roi, lui demandant de favoriser la création