Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prévient-elle de « prendre garde à la locomotive. » Dans certains cas prévus, pour des manœuvres, des indications spéciales, la cloche est abandonnée pour le sifflet, qui rend un bruit sourd, prolongé, analogue à un beuglement, et jamais ce son strident que l’on entend sur la plupart des chemins de fer européens.

La machine est à huit roues, portée sur deux trains à quatre roues, indépendans l’un de l’autre, ce qui permet de franchir aisément les courbes de petit rayon[1]. La cheminée, cylindrique comme partout, est presque toujours entourée d’une enveloppe en tôle, qui a la forme d’un énorme cône renversé, et qui seule suffit à donner à la locomotive américaine un faciès caractéristique. Les flammèches, les cendres chaudes, retenues aussi par un grillage disposé à l’orifice supérieur de la cheminée, tombent dans le cône et se dégagent par un conduit spécial. Cela prévient les cas d’incendie dans les champs qu’on traverse et diminue la production de cette poussière chaude et malsaine qui ne gêne et ne salit que trop souvent les voyageurs. Aussi plus d’un emporte-t-il pour protéger ses vêtemens une de ces longues tuniques de coutil auxquelles on donne le nom significatif de dusters, habits à poussière.

Une immense lanterne à miroir parabolique de métal blanc est fixée au bas de la cheminée sur le devant, et pendant la nuit projette son faisceau de rayons lumineux sur la voie, qu’elle illumine au loin. Sous la lanterne et rasant les rails est une espèce d’énorme éperon fait de barres de fer, de forme prismatique triangulaire, la pointe en avant. Il sert à repousser le bétail, que les barrières latérales ne suffisent presque jamais à écarter de la voie, à moins que les propriétaires riverains ne les aient établies eux-mêmes. On appelle cet éperon le cow-catcher ou chasse-vache. Plus d’une de ces lourdes bêtes qui dormait nonchalamment sur les rails, voyant venir le train, se soulève lentement et d’une course boiteuse, en lacet, particulière à ces sortes de ruminans, essaie de fuir. Elle tourne un œil effaré vers le monstre, qui arrive et qui bien vite la rejoint. Si elle ne s’échappe pas latéralement, elle est impitoyablement broyée, mais les voyageurs ne s’aperçoivent même pas de la secousse. Cela remet en mémoire le mot de G. Stephenson, devant qui un interlocuteur peu rassuré hasardait un jour quelques objections sur les inconvéniens qu’il y aurait à voyager en chemin de fer, sur les causes multiples de déraillement. « Quel danger, si l’on rencontrait une vache sur la voie ! — Oui, quel danger pour elle ! » repartit le grand ingénieur. Sur le chemin de fer du Pacifique, en hiver, le cow-catcher est

  1. La machine Crampton, employée de préférence en France et en Angleterre pour les trains à grande vitesse, n’est qu’à six roues, dont une, la roue motrice, de plus grand diamètre que les autres.